Par Eric Bérard
Au début du mois de décembre dernier, lors de la COP28 tenue à Dubaï aux Émirats arabes unis, le Canada s’est fait le champion d’un mouvement mondial visant à atteindre la carboneutralité de l’industrie du ciment et du béton d’ici 2050.
L’initiative a été baptisée « Breakthrough », ou « percée majeure » en français.
À l’échelle domestique, le Canada s’est également doté d’une cible plus rapprochée. À l’horizon 2030, l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport aux niveaux de 2005.
C’est à la fois un extraordinaire défi technique et une formidable occasion d’affaires pour le secteur du ciment et du béton d’ici.
Si les mots « béton » et « ciment » sont si étroitement associés, c’est que le ciment est en quelque sorte la “farine”, soit l’ingrédient principal, du “pain” que représente le béton après l’ajout de granulats, d’adjuvants et d’autres additifs au ciment.
Selon les données du gouvernement canadien, le ciment est une importante source d’émissions de CO2 industrielles à l’échelle mondiale, qui représentait 26 % de la totalité des émissions de CO2 du secteur industriel de la planète en 2019.
L’essentiel des émissions sont produites lorsqu’on chauffe le mélange (environ 80 % de calcaire et 20 % d’argile) à 1450o Celsius pour littéralement liquéfier la pierre avant de la refroidir rapidement pour obtenir ce qu’on appelle du clinker.
Cette matière dure est ensuite broyée et mélangée avec du gypse et d’autres additifs pour créer de la poudre de ciment, comme l’explique un peu plus loin dans ce texte Guillaume Lemieux, directeur du développement commercial et des services techniques chez Ciment Québec, un important producteur établi à Saint-Basile, dans la région de Portneuf.
Le hic pour le moment, soulignent les experts du gouvernement canadien, c’est que « la production de ciment nécessite des températures élevées qui ne peuvent être atteintes que par la combustion », combustion provenant plus souvent qu’autrement de combustibles fossiles.
La biomasse et l’hydrogène sont envisagés à titre de combustibles de remplacement plus verts. L’électricité aussi, d’ailleurs.
« Des recherches sont en cours sur le potentiel d’application de la technologie de plasma‑arc électrique dans la production de ciment, mais elles n’en sont qu’à leurs débuts », dit Ottawa dans sa Feuille de route vers un béton à zéro émission carbone d’ici 2050.
Mais les décideurs demeurent optimistes.
« L’innovation et les investissements dans les technologies propres sont d’une importance capitale pour le développement d’une économie verte. À titre de chef de file mondial en matière de recherche et d’innovation, le Canada est parfaitement positionné pour jeter les bases de l’industrie du ciment et du béton de demain », a déclaré le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, lors de la COP28.
Occasions d’affaires
Les dirigeants de nos cimenteries le savent déjà : les donneurs d’ordres publics ont de plus en plus d’exigences quant à l’empreinte carbone du béton utilisé sur leur territoire.
Et si le béton lui‑même est rarement exporté, les produits à base de ciment font l’objet d’un commerce international considérable. Environ 40 % des produits à base de ciment fabriqués au Canada sont exportés aux États‑Unis.
À eux seuls, les américains importent plus de 16 millions de tonnes de ciment de partout dans le monde par an, dont près de 6 millions de tonnes (soit 35 %) proviennent du Canada.
Et de nouveaux marchés s’ouvrent graduellement à notre industrie.
« À mesure que la nécessité de la carboneutralité dans le monde prend racine sur les marchés internationaux, la demande de ciment à faible teneur en carbone et de systèmes et technologies liés au béton représente un marché potentiellement important pour les entreprises canadiennes », souligne le gouvernement du Canada.
À cet égard, l’Union européenne (UE) a récemment publié une proposition législative qui entraînerait l’application d’un tarif sur le carbone pour les importations de biens à forte intensité de carbone tels que le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium et l’électricité.
Bref, les producteurs qui auront du ciment propre à proposer seront les premiers en lice pour l’obtention de juteux contrats internationaux, et à contribuer à un environnement plus sain à l’échelle mondiale.
C’est le pari que fait Ciment Québec.
Un exemple du Québec
En entrevue au magazine MCI, le directeur du développement commercial et des services techniques de l’entreprise, Guillaume Lemieux, explique que Ciment Québec se démarque notamment par son procédé de production baptisé Synergia.
Sur son site Web, Ciment Québec affirme que ce procédé génère 30% moins de gaz à effet de serre que les clinkers et ciments concurrents.
« Synergia permet de remplacer jusqu’à 60% des combustibles fossiles habituellement utilisés par des combustibles alternatifs », ajoute l’entreprise, précisant que le tout est conforme à la réglementation sur la qualité de l’air édictée par le ministère de l’Environnement.
« De façon continue, on mesure nos émissions à la cheminée. On est également audités là-dessus par le ministère de l’Environnement », nous confirme M. Lemieux.
Les combustibles alternatifs qui sont utilisés peuvent être des dormants de chemin de fer, des résidus de construction, des plastiques ne pouvant pas être recyclés ou encore des pneus. Toutes des matières qui se trouvent au centre de tri de Ciment Québec pour y être valorisées.
Et même s’il se trouve de la créosote ou des résidus de caoutchouc dans ces matières destinées à être brûlées, l’entreprise arrive à tirer son épingle du jeu.
« On fait entrer certains produits dans le four et on doit démontrer par des lectures à la sortie de la cheminée que tous ces produits-là sont éliminés ou séquestrés chimiquement dans notre produit fini qu’est le ciment », explique le porte-parole de Ciment Québec.
Ces matières résiduelles sont associées à du gaz naturel – beaucoup plus propre que le charbon utilisé ailleurs – pour obtenir les chaleurs intenses de combustion (1450o Celsius) qui permettent de liquéfier le calcaire.
C’est la séquestration des contaminants qui les empêche de se répandre dans l’atmosphère.
« Quand il y a des changements de phases de la pierre, par exemple lorsqu’elle vient à l’état liquide, il y a un phénomène de captation de certains de ces contaminants-là qui se fait et qui s’en va se lier chimiquement à notre clinker », précise M. Lemieux.
« On part avec une pierre solide et on la chauffe pour pratiquement la liquéfier et par la suite on la refroidit. Et dans ce processus-là, il y a une captation qui se fait de différents gaz et contaminants », ajoute-t-il.
Autres mesures environnementales
Ciment Québec va au-delà des carburants alternatifs pour minimiser son empreinte carbone.
L’entreprise termine en effet un projet d’investissement de plus de 150 millions $ qui vise le remplacement de ses broyeurs afin de créer des ciments dont la signature environnementale sera encore moins prononcée.
« Aujourd’hui, nous avons déjà les ciments qui ont la plus faible empreinte environnementale en Amérique du Nord. Mais lorsque ces nouveaux broyeurs seront en opération, ça va nous donner encore plus une longueur d’avance », se félicite M. Lemieux.
Cette nouvelle machinerie, moins gourmande en électricité, devrait être opérationnelle vers la fin de 2024.
« Ça va nous permettre de créer des ciments avec des teneurs en clinker plus faibles. Et le clinker dans le ciment, c’est à-peu-près 95 % des émissions de gaz à effet de serre », dit l’expert de Ciment Québec.
« On juge qu’avec la commercialisation des nouveaux ciments issus de ces nouveaux procédés-là, on devait être en mesure de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 10 % à 15 % vers la fin de 2024 par rapport à ce qu’on a présentement en 2023 », ajoute notre invité.
Lui aussi dit constater lui aussi que les donneurs d’ordres américains sont de plus en plus sévères à l’égard de l’empreinte environnementale du ciment et du béton qu’ils utilisent.
Et l’objectif de la carboneutralité pour 2050, c’est réaliste ? C’est une bonne nouvelle ? Guillaume Lemieux répond par l’affirmative à ces deux questions.
« En tant qu’humain, c’est sûr que ça me réjouit. En tant que personne également dans l’industrie du ciment, je crois qu’on doit s’en réjouir », dit-il ajoutant qu’il est sage d’avoir établi des cibles intermédiaires pour 2030.
« Ça veut dire que ce qu’ils veulent, et c’est ce qu’on fait présentement chez Ciment Québec, c’est de tout mettre en œuvre en termes de technologie disponible de réduction de GES pour pouvoir atteindre cette cible-là », analyse M. Lemieux.
Notons en terminant que la cimenterie de Saint-Basil est un site zéro déchet.
« Tout ce qui ressort de la cimenterie est un produit fini, bien contrôlé et bien mesuré, qui est du ciment Portland. Il n’y a pas d’autres émissions. On n’est pas un incinérateur, on n’a pas un rejet ultime à la fin de notre procédé », conclut l’expert avec un argument… béton.
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