Le secteur du transport de marchandises est un secteur clé pour l’économie québécoise. Selon l’étude pilotée par le Conseil du patronat du Québec en 2017, La contribution du transport des marchandises à la prospérité du Québec, le transport de marchandises représente des retombées économiques annuelles de 13,4G $, soit 4% du PIB québécois en 2015, dont 4,6 milliards uniquement pour le camionnage. Plus de la moitié du tonnage de marchandises transportées au Québec est déplacé par le transport routier, qui comptait, en 2015, une main-d’œuvre de plus de 65 000 travailleurs.
Comme bien des secteurs économiques aujourd’hui, le camionnage vit une forte pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, cette pénurie est loin d’être récente, comme c’est le cas de la plupart des autres secteurs. En 2010, alors que le taux de chômage était bien plus élevé qu’aujourd’hui, le camionnage connaissait déjà une pénurie criante, pénurie qui n’a fait que s’aggraver au fil des ans. Malgré les efforts pour attirer une nouvelle main-d’œuvre, le camionnage est aux prises avec un âge moyen plus élevé, avec une proportion plus forte de travailleurs de 55 ans et plus comparativement à l’ensemble de l’industrie.
Face à des besoins criants de main-d’œuvre, l’industrie du camionnage n’est pas pour autant restée les bras croisés. De nombreux efforts ont été mis en œuvre, que ce soit par des pratiques de recrutement plus agressives avec la présence de l’industrie dans les salons d’emplois, par une forte présence dans les réseaux sociaux, ou encore avec le programme récemment mis sur pied par Camo-route, le comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie du transport routier, pour augmenter la présence des femmes au volant des poids lourds.
Mais d’autres facteurs viennent nuire à la capacité de l’industrie de, sans jeu de mots, livrer la marchandise. Les grands chantiers et fermetures de ponts et routes dans les dernières années, que l’on pense au chantier du Pont Champlain ou de l’échangeur Turcot, ont fortement contribué à compliquer le travail des répartiteurs et des chauffeurs.
De plus, l’arrivée de nouvelles règlementations en matière de calcul des heures de services des chauffeurs de camions lourds est venue réduire la fenêtre durant laquelle ces chauffeurs peuvent accomplir leur tâche. La comptabilisation des heures de conduites et de service, qui s’était toujours faite sur papier, s’effectue maintenant de façon électronique pour l’ensemble du transport aux États-Unis, norme qui devrait prochainement être adoptée aussi au Canada. Même si ce qu’on appelle communément le log book électronique n’est pas encore obligatoire en sol canadien, une forte proportion des transporteurs canadiens et québécois l’a déjà adopté.
L’industrie du camionnage arrive tant bien que mal à gérer tous ces défis. Mais un point demeure problématique : les temps d’attente chez les expéditeurs et les destinataires, pour le chargement et le déchargement des remorques. Que ce soit par nonchalance ou en raison d’une mauvaise planification, l’opération de chargement ou déchargement des remorques entraine, selon l’Association du camionnage du Québec, des pertes de temps inacceptables.
« C’est un effet domino », nous explique le président-directeur général de l’ACQ, Marc Cadieux. « Lorsqu’un chauffeur doit attendre parfois des heures pour que sa remorque soit chargée ou déchargée, il ne peut pas reprendre ce temps perdu. Et pour le transporteur, ça implique souvent de devoir avoir recours à un autre chauffeur pour effectuer les livraisons qui étaient prévues. En plus d’entrainer des coûts additionnels, ça devient tout un casse-tête, dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre qu’on connaît. »
L’ACQ y voit un manque de compréhension de l’industrie et aussi un manque de respect à l’endroit des chauffeurs. Faut-il en effet rappeler que de nombreux chauffeurs ne sont pas payés à l’heure, mais au kilométrage parcouru ?
L’Association du camionnage du Québec demande depuis plusieurs années une amélioration à ce chapitre, amélioration qui tarde à se faire sentir. Inévitablement, cette situation entrainera une hausse des coûts, dit Marc Cadieux.
« L’industrie a jusqu’à maintenant absorbé ces pertes de temps dans la plupart des cas. Mais vient un temps où on n’a plus le choix de refiler la facture. »
L’Association du camionnage du Québec soulève aussi certaines problématiques récurrentes, notamment, la question du déneigement des remorques. Dans le cas de transporteurs qui utilisent leurs propres remorques et peuvent donc procéder eux-mêmes au déneigement, le problème est moindre. Mais lorsque la remorque appartient à l’expéditeur et qu’elle se trouve sur le terrain de celui-ci après une chute de neige, la question se complique. Rares sont ceux qui ont des installations sur place pour procéder au déneigement. Or, des règles sévères entourent cette question. D’une part, en vertu de la loi sur la santé et sécurité au travail, un chauffeur ne peut pas, à moins d’installations sécuritaires, procéder lui-même au déneigement. Mais d’autre part, c’est au chauffeur et à son employeur qu’incombe la responsabilité de respecter l’article 498 du Code de la sécurité routière, qui touche notamment l’obligation de déneiger les véhicules routiers.
Le ministère des Transports du Québec a publié un document de sensibilisation qui explique que cette responsabilité est partagée entre l’expéditeur, le transporteur et le chauffeur (voir https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/securite-signalisation/securite-conditions-hivernales/Documents/deneigement_vehicules_lourds.pdf). Mais malgré cette sensibilisation, à l’ACQ, on nous souligne qu’il est encore trop souvent impossible pour le transporteur ou son chauffeur de déneiger une remorque se trouvant chez l’expéditeur.
Autre problème noté par l’ACQ, le chargement inadéquat des remorques. Encore là, lorsque le transporteur est lui-même responsable du chargement de la remorque, le problème ne se pose pas. Mais lorsque tout le chargement est effectué par l’expéditeur ou ses agents et que le camionneur ne fait qu’accoupler son tracteur à la remorque, il doit faire un acte de foi. La marchandise a-t-elle été bien arrimée ? Le poids est-il adéquatement réparti pour éviter une surcharge axiale ou encore un renversement dans une courbe ?
L’Association du camionnage du Québec réclame depuis longtemps un meilleur partage des responsabilités dans la chaine d’approvisionnement. Avec l’arrivée l’automne dernier d’un nouveau ministre des Transports, l’ACQ espère que ce dossier cheminera. Marc Cadieux nous dit souhaiter une bonne collaboration de tous dans l’industrie, mais estime qu’un changement de réglementation sera nécessaire. Et, de nous confier Marc Cadieux, il semble bien que cette fois-ci, il ait une oreille attentive chez le ministre François Bonnardel.
Par Claude Boucher