Les représentants des trois compagnies dont les projets sont assez avancés sont venus parler de l’importance de bien s’intégrer dans le tissu social des communautés environnantes. Nadège Tollari, vice-présidente à la recherche et au développement chez Ressources d’Arianne, a présenté la démarche de consultation publique lancée dès 2009 sur la mine de phosphate située au lac à Paul, au nord du Saguenay-Lac-Saint-Jean. La mine est à 200 km de Saguenay, et à 30 km à l’est du barrage de Chute-des-Passes.
Les élus locaux ont pris connaissance du projet en 2008, dès le moment où Arianne a relancé l’exploration sur le site où les premiers indices avaient été détectés dans les années 1990. Mme Tollari dit avoir été inspirée par la démarche faite par la société Aurizon (maintenant Hecla) pour le projet Joanna. « J’ai entendu Jacynthe Lafond à Val-d’Or en 2009. Il faut aller vers la communauté, c’est une démarche ascendante vers les promoteurs. »
Arianne prévoit produire durant plus de 25 ans une moyenne annuelle de 3 millions de tonnes de concentré phosphaté à une teneur de 38,6 % en P2O5. Le coût d’investissement initial est de 1,2 milliard de dollars (G$). Pour le projet du lac à Paul, le secteur visé couvre 25 000 ha et est à cheval sur les limites des MRC Maria-Chapdelaine et du Fjord-du-Saguenay. On y trouve une pourvoirie à droits exclusifs (PADE). Son propriétaire désirant la vendre, la compagnie minière a acheté l’entreprise de villégiature et entend continuer de l’exploiter d’ici à l’ouverture de la mine, dont la mise en production est prévue en 2017. Après cela, on ajustera l’offre de produits de villégiature en fonction de la demande.
Avec les communautés autochtones concernées, on tente de conclure une entente sur les répercussions et avantages (ERA). Les discussions ont été entamées avec les Innus de Mashteuiatsh dès 2008, puis avec ceux de Pessamit en 2010 et d’Essipit en 2013. Ces deux communautés ont des revendications sur le territoire qui sera emprunté par Arianne pour transporter le concentré phosphaté jusqu’au port de Saguenay.
En publiant l’étude préliminaire de faisabilité en décembre 2011, Arianne avait déjà ciblé les cinq enjeux de son projet au lac à Paul découlant des premières consultations :
1) transparence de l’information, 2) le transport, 3) la maximisation des retombées locales, 4) la pérennité des engagements de l’exploitant et 5) l’environnement. D’autres rencontres publiques ont été menées dans les municipalités concernées et un comité consultatif a été créé pour discuter du transport.
Comme Arianne est une société publique, elle a été tenue de dévoiler le 24 octobre dernier son étude de faisabilité qui comprend un nouveau scénario de transport. Lors des six rencontres tenues en novembre dans les diverses municipalités pour présenter l’étude, l’accueil a été plutôt mitigé. Une partie du nouveau tracé, soient les derniers 2,5 km pour amener le concentré phosphaté au bateau, a été modifiée sans que le promoteur ait eu le temps de consulter toutes les parties concernées. « Cette modification a été très mal reçue. Les gens insistent pour être consultés en amont et ne veulent pas être mis devant le fait accompli. » Même après cinq ans de consultation, le succès de la démarche n’est jamais garanti, conclut Nadège Tollari.
La Corporation Royal Nickel (RNC) a été nommée lauréate du prix e3 Plus en 2013, reconnaissance remise la veille lors du banquet tenu en soirée au congrès de l’AEMQ. On l’attribue à l’entreprise pour souligner son haut degré de responsabilité sociale et environnementale et la conformité de ses pratiques avec celles qui sont suggérées dans le cadre e3 Plus de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs. Le directeur du développement durable chez RNC, Pierre-Philippe Dupont, a présenté la consultation menée pour le projet Dumont.
Il y aura de plus en plus de gisements à fort tonnage, mais à faible teneur, comme celui d’Osisko à Malartic, précise-t-il. Les débats publics se poursuivront, pas seulement sur la réforme minière, mais pour chaque projet d’envergure comme celui que veut réaliser RNC. « Le processus d’intégration n’est pas un mal nécessaire, ni une approche de marketing, mais le moyen de bonifier le projet pour le rendre acceptable », dit-il. M. Dupont conseille aux promoteurs de demander leur avis aux employés. « Nous avions consulté tout le monde, mais nous avions oublié nos travailleurs. Ne faites pas comme nous, impliquez-les rapidement et ils seront vos meilleurs ambassadeurs. »
Il recommande aussi aux promoteurs d’afficher la plus grande transparence et de respecter leurs engagements. « De plus, si vous décidez de ne pas intégrer une préoccupation dans votre projet, vous devez expliquer pourquoi. » En travaillant en amont, on établit des liens de confiance avec la communauté et on met fin aux rumeurs. Informer, ce n’est pas consulter, dit-il.
L’investissement requis pour démarrer la mine Dumont est de 1,2 G$, plus 891 M$ pour doubler la production. On prévoit produire 52 500 tonnes de minerai par jour, durant les premières cinq années, avant de passer à 105 000 tonnes par la suite. Selon le rapport technique publié le 25 juillet 2013 par RNC, on produira en moyenne 90 millions de livres par année de sulfures de nickel, ce qui en ferait l’une des plus grandes au monde. L’empreinte au sol du projet couvrira 50 km2 (5 000 ha).
Deux petites municipalités du nord de l’Abibiti sont à proximité de la mine, soit Launay (226 habitants) et le canton de Villemontel (502 hab.). Les deux localités sont à 14 km l’une de l’autre au bord de la route 111 qui relie Amos à La Sarre. Une entente du type ERA a été signée avec les municipalités de Launay et de Trécesson, et un forum permanent d’échanges a été créé avec la MRC et les municipalités. Un bureau de liaison a été implanté à Launay. Dès 2007, le promoteur a aussi entamé ses discussions avec la nation algonquine de Pikogan de même qu’avec les villégiateurs du lac Chicobi. Un protocole de discussion a été signé fin 2012 avec les Premières Nations, et RNC souhaite conclure une ERA avec les Algonquins sous peu.
Pour l’étude environnementale, lors des séan-ces de consultation publique, le promoteur a ainsi découvert que la sensibilité de la population à l’égard de la protection des eaux souterraines était nettement plus élevée que celle des experts ayant analysé le sujet. La compagnie a déjà réalisé un sentier de motoneige qui sera utilisable dès cet hiver, d’une longueur de 18 km, pour remplacer l’ancien tracé perturbé par le chemin d’accès à la mine, où les travaux précédant la mise en production ne commenceront qu’en 2015.
Les impacts du transport et de la circulation sont souvent négligés par les promoteurs miniers, selon Pierre-Philippe Dupont. « Il ne faut jamais rien tenir pour acquis. L’acceptabilité sociale est une notion relative et qui évolue dans le temps. À part les organisations liées aux grands groupes écologistes, qui s’opposent à tout développement minier, j’estime que nous avons obtenu le permis de la société pour lancer le projet. »
La société Métaux Blackrock est un cas particulier : son projet est entièrement financé par des capitaux privés. Les actionnaires sont principalement établis à Hong-Kong (65 %), en Amérique du Nord (25 %) et dans le Sultanat d’Oman (5 %). « Comme nous ne sommes pas une société publique, les gens nous accueillent avec méfiance », explique son PDG, Jean Rainville. La notoriété de l’ex-premier ministre du Québec, Me Pierre-Marc Johnson, qui siège au conseil d’administration, contribue à rassurer ceux qui doutent de la transparence de l’entreprise et de ses sources de financement.
Le potentiel de cette mine est connu depuis les années 1950, et quelque 140 rapports techniques ont été produits sur ce gisement de fer, vanadium et titane. C’est à cause de ce projet que le gouvernement fédéral a commencé à exiger la tenue de consultations publiques pour évaluer l’impact des mines sur l’environnement. La communauté crie d’Oujé-Bougoumou, qui avait été déplacée par l’arrivée des minières dans le campement de Chibougamau, n’a jamais conclu d’entente avec les minières, contrairement aux Cris de Mistissini.
À l’étape de l’exploration, Blackrock a favorisé l’embauche des anciens travailleurs de la mine Troilus qui venait de fermer. Ceux-ci habitent pour la plupart à Chapais et Chibougamau. L’équipe de Blackrock s’est inspirée des travaux menés par Troilus pour conclure son entente préliminaire avec les Cris d’Oujé-Bougoumou, de même que des efforts déjà réalisés par Goldcorp et Stornoway avec les autres nations cries de la région du Nord-du-Québec. « Notre mine est à 30 km de leur communauté. Notre meilleur biologiste a été le maître de trappe (tallymen) actif sur le territoire où le gisement est situé. Si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent exploiter dans le territoire conventionné : discutez avec les tallymen. » Il y a maintenant un agent de liaison à Oujé-Bougoumou.
Les actionnaires ont déjà investi 65 M$ dans ce gisement situé au nord de Chibougamau. Il en coûtera 1 milliard $ en plusieurs phases pour ouvrir cette mine dont la durée de vie sera de 25 à 30 ans. La construction créera 450 emplois, et plus de 300 employés seront actifs lors de l’entrée en production. « Et nous ne ferons pas de navettage », précise M. Rainville. Le promoteur arrangera les horaires de travail pour faciliter la conciliation avec les exigences familiales. Lors des audiences publiques tenues à Chibougamau en juin 2013, les participants ont posé des questions sur les emplois et les retombées locales, mais très peu sur l’environnement. Blackrock devra ajouter 25 km de chemin de fer pour amener le minerai jusqu’au rail du CN qui relie Chibougamau à Saint-Félicien.
M. Rainville recommande aux exploitants miniers de s’intégrer le plus rapidement possible dans la communauté dès l’étape de l’exploration. Cela passe par l’établissement de partenariats avec les autorités locales et régionales. Des ententes pour la formation ont aussi été conclues avec les municipalités voisines. Il estime que le gouvernement doit poser les balises pour encadrer les consultations visant à obtenir l’acceptabilité sociale de la communauté.