Par Eric Bérard
Le secteur manufacturier, comme bien d’autres secteurs d’activité économique, vit présentement une cruelle rareté de main-d’œuvre pour le faire avancer et de se dépasser. Il ne peut certainement pas se permettre de se passer de près de la moitié des travailleurs disponibles pour combler les 21 000 postes actuellement vacants.
C’est pourtant ce qui se passe en ce moment, alors que même si les femmes représentent environ 48 % de la main-d’œuvre québécoise, elles occupent seulement 28,3% des emplois dans le secteur manufacturier.
L’organisation Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) a entrepris de renverser cette tendance et, en collaboration avec la firme EY, a élaboré une impressionnante boîte à outils à l’intention des employeurs désireux de mettre sur pied de solides pratiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) au sein de leur entreprise.
Nommée Projet Inclusion Femmes, l’initiative a, entre autres choses, permis de mettre sur pieds une série de 18 guides pratiques, détaillés et gratuits, portant sur des thèmes aussi variés que les modes de communication inclusifs, la manière de rédiger une offre d’emploi susceptible de capter l’attention d’un public féminin ou encore de favoriser la conciliation travail-famille.
La présidente-directrice générale de MEQ, Véronique Proulx, a accordé une entrevue au magazine MCI afin de discuter plus en détails du projet et de ses objectifs.
Celle-ci souligne dans un premier temps que c’est la Commission des partenaires du marché du travail (qui relève du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale) qui a financé le projet. Et puisqu’il s’agit de fonds publics, toutes les entreprises du secteur manufacturier peuvent y participer et obtenir de l’accompagnement personnalisé en EDI, membre ou pas de MEQ.
Le projet a été mis sur pied peu avant la pandémie de COVID-19 et Mme Proulx estime à environ un an et demi le temps qu’il a fallu pour en ficeler l’ensemble des ressources.
« L’idée était d’être capables de mieux comprendre la problématique dans le secteur manufacturier spécifiquement et d’être capables de proposer des solutions, des outils concrets pour que les chefs d’entreprises, les dirigeants des ressources humaines puissent mettre en place de bonnes pratiques qui vont avoir un impact sur l’attraction – parce qu’il faut commencer par attirer les femmes – mais aussi sur le taux de rétention », dit-elle.
Établir un diagnostic
L’accompagnement en équité, diversité et inclusion commence par demander à une entreprise manufacturière de remplir un formulaire sur ses pratiques d’emploi actuelles afin d’en établir un bilan, un diagnostic.
Suivent ensuite des rencontres avec des professionnels de MEQ pour discuter de ce bilan et d’établir un plan pour mettre en place les meilleures pratiques en matière d’EDI.
Cela ne se fait pas cependant pas sans efforts.
« Si j’ai une salle remplie de manufacturiers et que, dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, je demande “qui veut attirer plus de femmes dans le secteur?”, tout le monde lève la main. »
« Mais après, c’est d’être capable de prendre le temps pour voir quel est le portait de la situation et qu’est-ce que je dois changer, qu’est-ce que je dois mettre en place pour pouvoir être plus attractif », indique Mme Proulx, se disant par ailleurs consciente des défis que cela représente.
« Ça affecte beaucoup les PME. On manque de temps et de ressources pour pouvoir faire ce qui est à faire pour offrir une culture organisationnelle qui soit plus favorable aux femmes », illustre la PDG de MEQ.
Objectif 40 %
On le disait plus haut, les femmes ne représentent que 28,3 % de la main-d’œuvre du secteur manufacturier. On ne dispose cependant pas de la ventilation de ces chiffres, à savoir le type de postes qu’occupent ces femmes. Quelle proportion dans les bureaux et combien sur les lignes de production?
Mme Proulx visite de nombreuses usines dans le cadre de ses fonctions et estime que la proportion de femmes directement impliquées dans les processus de production est probablement inférieure à 28 %.
« Je serais surprise qu’on ait plus de 20 % de femmes sur les planchers d’usines en moyenne », dit-elle.
En moyenne, parce que cette proportion varie sensiblement selon les domaines de spécialisation.
Plus un secteur est hautement automatisé ou implique des tâches qui demandent beaucoup de minutie, plus on y retrouve un taux élevé de femmes, constate Mme Proulx, citant en exemple les secteurs du médical et du pharmaceutique.
« Dans les secteurs plus traditionnels où il y a eu moins d’investissements dans la numérisation, les femmes sont quasi-absentes », se désole-t-elle.
Si 20 % ou 28 % sont insuffisants, quelle proportion de femmes serait souhaitable? Ou réaliste?
« La parité, on va l’atteindre à 50 %. Maintenant, si on est à 28 % aujourd’hui, est-ce qu’on aimerait se rendre à 40 % pour commencer? Ce serait déjà un énorme gain. Ce serait déjà un très bel objectif à se donner, 40 % », opine notre experte invitée.
Question de perception
Invitée à expliquer l’apparent manque d’intérêt des filles et des femmes pour le secteur manufacturier, la patronne de MEQ indique dans un premier temps que beaucoup d’études et de sondages ont été menés, au Québec et dans le reste du Canada, afin de répondre à cette question.
« Ce qui ressort, c’est que les filles et les femmes considèrent simplement que ce n’est pas pour elles parce qu’elles ont l’impression, au niveau de la perception, que c’est un environnement de travail qui est sale, qui est lourd, que c’est des tâches où il faut avoir une bonne force physique, avec peu de flexibilité », nous dit Mme Proulx.
Or, elle rappelle que là où il y a beaucoup d’automatisation, on retrouve plus de femmes. « Mais les femmes ne s’y reconnaissent pas a priori, au même titre qu’on ne retrouve pas suffisamment de femmes impliquées dans le génie par exemple. »
Selon elle, il y a un travail de sensibilisation à faire auprès des jeunes de façon générale – incluant les garçons – afin de les intéresser au secteur industriel et manufacturier.
Après tout, avec des salaires moyens de 27 $, bien au-dessus de ce qui est payé dans le secteur des services, des carrières fort intéressantes peuvent être envisagées dans nos usines.
Modèles féminins inspirants
Ce n’est pas pour rien que l’un des 18 guides mentionnés plus haut se consacre uniquement aux modèles féminins qui réussissent et aiment ce qu’elles font. Elles peuvent jouer un rôle crucial dans les choix de carrière des filles et des femmes.
« C’est vraiment le concept de se reconnaître. Si nos jeunes filles rencontraient davantage de femmes qui travaillent dans le secteur, pour elles ça deviendrait une possibilité », déclare Mme Proulx.
Dans cette optique, MEQ organise des visites avec des jeunes du secondaire pour visiter des entreprises manufacturières afin de les familiariser avec le secteur, leur montrer ce que fait un soudeur ou encore un électromécanicien par exemple, et les étapes à suivre pour atteindre ce type de carrières.
« Je demande toujours à ce qu’il y ait des femmes qui viennent les rencontrer, pour qu’elles puissent voir que c’est une possibilité pour elles également », conclut Mme Proulx au sujet de l’importance des modèles féminins.
Vous pouvez accéder aux 18 guides présentant les meilleures pratiques d’EDI et les télécharger gratuitement et individuellement en cliquant ici.