Des cyberpirates veulent votre bien. Et ils pourraient l’avoir.
Pendant une semaine en mai dernier, 45 % de tout l’apport en pétrole de l’Est des États-Unis a été compromis alors que le pipeline Colonial était victime d’une cyberattaque au rançongiciel.
Un simple mot de passe insuffisamment sécurisé a suffi pour que les malfaiteurs bloquent les données de l’entreprise en échange d’une rançon, qu’on devine substantielle.
L’anecdote est soulevée par M. Steve Waterhouse, à l’occasion d’une entrevue avec le Magazine MCI. Consultant en cybersécurité qui a d’abord œuvré pour la Défense canadienne avant de lancer son propre cabinet et d’enseigner à la maîtrise à l’Université de Sherbrooke, il a vécu les tourbillons informatiques de la crise du verglas de 1998 et du fameux « bogue de l’an 2000 ».
Et si l’exemple mentionné en ouverture concernait une très grande organisation, il insiste pour dire que les entreprises de toutes les tailles sont désormais sur le radar des fraudeurs du Web. « La sécurité de l’information, c’est partout. Tout le monde devrait considérer ça dans leurs activités d’affaires », dit-il.
Un sondage mené à la fin de 2020 et au début de 2021 par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) tend à lui donner raison, révélant que près de 25 % des PME ont subi une cyberattaque depuis mars 2020.
Et le stéréotype du hacker génial, agissant seul caché dans un sous-sol, tend à disparaître, selon M. Waterhouse. C’est désormais le crime organisé qui mise sur l’implantation de rançongiciels, dit-il, notamment en raison des cours élevés du bitcoin, la monnaie virtuelle de prédilection des rançonneurs informatiques.
M. Waterhouse qualifie de « cyberhygiène » les pratiques toutes simples et maintes fois répétées – et presque aussi souvent négligées – que sont la gestion des mots de passe, les mises à jour régulières, les copies de sûreté, la supervision de l’information qu’une entreprise diffuse sur les médias sociaux ou encore la connexion sécuritaire d’appareils au sein d’un même réseau.
Et cette routine doit devenir une seconde nature. « L’entretien des systèmes, il faut qu’il soit “vivant” parce que ce n’est pas parce qu’on installe un appareil électronique qu’il va se mettre lui-même à jour ou qu’il n’aura jamais besoin d’être mis à jour. Tout ce qui est logiciel a besoin de mises à jour », martèle M. Waterhouse.
Vos machines comme portes d’entrée
Parce que oui, dans un domaine industriel 4.0 hyper connecté, même l’une de vos machines de production pourrait servir de porte d’entrée à des malfaiteurs informatiques.
« L’Internet des objets et ses points de collecte d’information font en sorte que, dans l’industrie, il y a plus d’information qui arrive pour être en mesure d’avoir des indicateurs de performance, ou encore des avertissements qu’un appareil a réduit en performance ou est défaillant, etc. », souligne l’expert. « Ces appareils-là qui captent l’information doivent aussi être mis à jour », dit-il, donnant l’exemple de capteurs sur une ligne de convoyeurs.
« Si un réseau sans fil est mal entretenu, mal préparé ou mal configuré, il peut arriver n’importe quoi », prévient M. Waterhouse, soulignant que la portée wi-fi est généralement de 300 à 400 pieds autour d’un bâtiment, selon la puissance de diffusion. « Je peux être à des kilomètres de là avec une antenne plus sensible et, sans que personne n’en sache rien, je serai capable d’interagir avec ce réseau-là. S’il est mal protégé, je serais capable de créer quelque chose de néfaste dans le réseau. »
La menace peut aussi prendre la forme de vandalisme provenant de l’intérieur, d’un employé récemment congédié par exemple et à qui les accès aux données n’ont pas été coupés suffisamment rapidement. La vérification des antécédents et des références des employés avant l’embauche peut être fort utile à titre préventif.
M. Waterhouse plaide pour des sessions de formation du personnel sur une base régulière, parce que les dangers évoluent sans cesse. « La menace mute, comme n’importe quel virus de grippe », illustre M. Waterhouse.
Télétravail et nouveaux portails
L’analogie avec la pandémie de COVID-19 n’est pas anodine. La FCEI a elle aussi choisi mars 2020 comme point de référence pour son sondage, auquel ont répondu 3 000 de ses 95 000 membres.
Parce qu’avec la pandémie et les épisodes de confinement sont arrivés le télétravail et un virage numérique prononcé pour de nombreuses entreprises qui ont mis sur pied en catastrophe des portails en ligne permettant de commander et de payer de la marchandise, souligne en entrevue M. Jasmin Guénette, vice-président des affaires nationales à la FCEI.
« Plus on est allés en ligne, plus on s’est exposés à des risques », résume-t-il.
M. Guénette estime que les propriétaires d’entreprises doivent garder en tête que les employés qui travaillent à distance ne disposent peut-être pas à la maison de systèmes de sécurité aussi sophistiqués qu’en entreprise pour protéger des données sensibles et que l’investissement en cybersécurité devient incontournable.
Seulement voilà : toujours selon le sondage de la FCEI, 60 % des propriétaires de PME étaient d’accord avec l’énoncé suivant : « Je n’ai ni le temps, ni les connaissances ou les ressources nécessaires pour bien protéger mon entreprise contre les cyberattaques. »
Si vous vous reconnaissez dans ce sentiment d’être désemparé, plusieurs avenues s’offrent à vous.
Éducation, assurances et experts-conseils
Dans un premier temps : l’acquisition ou la mise à jour de vos connaissances et de celles de vos employés par le biais de formations (déductibles d’impôt), notamment au Cégep de l’Outaouais ou encore à l’Université de Sherbrooke. L’organisme Cyber Québec demeure le pivot pour obtenir de l’information à ce sujet.
Sachez également qu’il existe une telle chose que l’assurance cyberrisques. Ça fonctionne selon le même principe que n’importe quel autre type d’assurance. En fonction du risque que vous représentez, vous payez un montant « x » en échange d’une indemnité si un « sinistre informatique » devait s’abattre sur votre entreprise.
Cela n’empêche pas le malheur de se produire, mais ça contribue à revenir à l’état initial plus rapidement. « L’assurance est là pour passer la “moppe” à la fin », image Steve Waterhouse.
Sachez cependant que les primes sont à la hausse par les temps qui courent, en raison de la loi de l’offre et de la demande. Parce que si 43 % des entreprises sondées par la FCEI ne disposaient pas de ce type de protection, 13 % avaient l’intention de s’en procurer et 2 % l’avaient fait depuis mars 2020.
Vous pouvez également faire appel à des experts en cybersécurité pour former vos gens à l’interne et monter une infrastructure de protection de vos données. Ce n’est pas le choix qui manque. Nous avons tapé « cybersécurité pour les entreprises » dans un moteur de recherche bien connu et nous avons obtenu plus de 10 millions de résultats.
Comment séparer le bon grain de l’ivraie? Comment s’assurer que la personne ou le cabinet embauché ne bâclera pas le travail, vous laissant dans un sentiment de fausse sécurité ou pire encore, ne profitera de votre confiance pour vous pirater elle-même?
« Ça, c’est la question à deux millions de dollars », répond M. Waterhouse. « Il y a beaucoup, beaucoup de charlatanisme dans le domaine », dit-il, soulignant par ailleurs qu’il n’existe pas d’ordre professionnel pour encadrer cette sphère d’activité.
Le cybersoldat suggère la bonne vieille méthode du bouche-à-oreille et des recommandations pour choisir un consultant en sécurité informatique. N’hésitez pas à communiquer avec d’anciens clients du consultant pour savoir s’ils sont satisfaits. « Sans quoi, c’est donner aveuglément les clés de toute l’organisation », prévient M. Waterhouse.
Le rôle des gouvernements
Le hic, c’est que tout ça coûte de l’argent. Et c’est pourquoi la FCEI fait des représentations auprès des gouvernements du Québec et du Canada.
« On a recommandé de compenser une partie des investissements réalisés [par les entreprises] dans l’équipement et les programmes de protection avec des crédits d’impôt. », indique M. Guénette au sujet des discussions de la FCEI avec les autorités gouvernementales.
Des programmes d’aide des différents paliers de gouvernement existent, mais ils demeurent trop souvent inutilisés parce que méconnus, aussi efficaces et pertinents puissent-ils être.
« Il y a certainement un rôle d’éducation et de communication à faire pour les gouvernements », estime Jasmin Guénette.
Plusieurs programmes, ressources et incitatifs gouvernementaux sont en place pour aider les entreprises à peaufiner leurs stratégies de cybersécurité, tant au fédéral qu’au provincial.
Québec
Ottawa
Sources : Ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec; Revenu Québec; Sécurité publique Canada; Innovation, Sciences et Développement économique Canada; Agence du revenu du Canada.
Source : Banque de développement du Canada (BDC)
Par Eric Bérard