Par Dominique Lemoine
Les petites et moyennes entreprises manufacturières du Québec reçoivent depuis 2023 plus de curriculums vitae qu’au cours des années précédentes, selon le Baromètre industriel québécois 2023 produit par Sous-traitance industrielle Québec (STIQ). Toutefois, les candidats ne sont pas nécessairement toujours à la hauteur des attentes.
Frederico Panetta, chef de la direction chez Industries Gould, une PME basée dans le parc industriel Anjou qui fabrique des produits en plastique réutilisé pour des détaillants, notamment des sacs pour Costco, estime qu’environ 30 % des curriculums vitae reçus en 2024 satisfont aux attentes en matière de compétences.
« Nous sommes bombardés de cv, mais ce ne sont pas tous des gens assez qualifiés. C’est bien d’avoir du choix, mais ils doivent être qualifiés », a-t-il affirmé. Industries Gould reçoit aussi plus de candidatures pour la fabrication que pour l’administration. « Il y a du choix en fabrication, mais je cherche un commis comptable depuis un an », dit-il.
Frederico Panetta explique cette vague de candidatures plus et moins bonnes par une multitude de raisons économiques. « Les candidats recherchent des entreprises stables avec des rendements stables ou croissants, où travailler pour longtemps. Ils peuvent venir d’arriver ici, avoir déménagé ou avoir acquis un condo ou une maison », a-t-il mentionné.
À son avis, des usines peuvent donc vivre des difficultés à attirer, à embaucher et à fidéliser si elles n’ont pas une relève claire de dirigeants ou de propriétaires pour projeter du dynamisme et inspirer confiance aux candidats.
Ainsi, bien que le Baromètre ait observé en 2023 une « atténuation du problème de pénurie de main-d’œuvre », après avoir atteint son sommet en 2021 et 2022, Industries Gould poursuit des mesures d’attraction et de fidélisation qui font aujourd’hui partie des valeurs de la direction.
Par exemple, l’entreprise mise sur la formation de gens qui n’ont pas exactement l’expérience recherchée mais qui ont l’attitude ou la personnalité recherchées, sur des étudiants, sur de la flexibilité quant aux heures travaillées, sur du bouche-à-oreille au sujet de l’entreprise en tant qu’employeur, sur une présence active dans les réseaux sociaux, de même que sur l’accompagnement du personnel en cours de processus d’immigration.
Frederico Panetta résume ainsi l’approche personnalisée de l’entreprise : « j’essaie d’encadrer les objectifs de vie et de carrière de chaque individu qui vient ici avec ses objectifs pour qu’il puisse les accomplir, qu’il s’agisse d’études pour eux ou pour leurs enfants ou de s’établir ».
De plus, Industries Gould compte depuis bientôt quatre ans sur les services d’une directrice RH virtuelle, Charlotte Bardot, dotée d’une intelligence artificielle. « Elle parle toutes les langues, elle a son propre courriel et elle fait toutes les communications. Nous avons des gens qui parlent bulgare, créole, espagnol et italien. Quelques personnes avaient été essayées sans succès pour ce poste », dit-il.
Concernant la production, face aux difficultés à recruter, certaines tâches ont été automatisées mais pas des emplois. « C’est important pour moi que le stationnement soit plein. Je veux que les gens grandissent à travers l’entreprise ».
Le fabricant d’enduits et d’adhésifs Adfast, notamment installé dans l’arrondissement Saint-Laurent à Montréal, met lui aussi de l’avant des pratiques et des programmes pour offrir aux employés une expérience personnalisée en fonction des besoins et des réalités de chacun, selon sa directrice des ressources humaines, Amélie Castonguay.
Par exemple, son chef de la direction, Yves Dandurand, considère que le salaire reste une composante majeure pour attirer et garder les bonnes personnes. « Une entreprise a l’obligation de partager la richesse créée pour attirer les gens talentueux et ceux qui ont investi des années sur les bancs d’école pour acquérir leurs compétences », dit-il.
De plus, ces personnes doivent à son avis pouvoir constater durant le processus d’embauche et d’intégration qu’elles côtoieront d’autres personnes inspirantes pour elles, et qu’elles pourront travailler avec des équipements à la fine pointe, si elles acceptent de faire partie de l’entreprise.
« Des entreprises qui n’ont pas encore de ressources ou de leadership en technologies ont de la difficulté à attirer des cerveaux qui arrivent de l’université ou qui arrivent d’autres entreprises parce que certains ne se reconnaissent pas en elles et qu’ils se disent qu’ils ne pourront pas y être amenés là où ils veulent aller. Le premier tour de roue n'est pas facile pour parvenir à réaliser des rêves plutôt qu’à vendre des rêves », a ajouté Yves Dandurand.
Pour arriver à avoir à l’interne ces travailleurs qui en attirent d’autres, Adfast mise notamment sur la diversité. « La porte doit être ouverte sans jugement aux femmes, aux jeunes et aux personnes de tous les pays, et il faut les protéger de situations toxiques qui pourraient faire en sorte qu’ils ne restent pas », selon Yves Dandurand.
Selon Amélie Castonguay, il est de plus en plus difficile d’attirer et de garder. « On ne peut plus être réactif par rapport à la main-d’œuvre. Il faut être proactif. Il faut réfléchir aux pratiques qui relèvent de l’expérience des employés en plus de celles reliées au recrutement. Il faut les analyser pour identifier celles qui fonctionnent pour être prêt quand un gestionnaire présente un besoin futur ».
À son avis, la compensation pour le travail accompli, le développement professionnel et la reconnaissance des mérites font partie des ingrédients à ne pas négliger ou oublier. Selon elle, « avoir des programmes personnalisés démontre une attention portée aux besoins et aux réalités des personnes, de même qu’à ce qui compte pour elles et à ce qu’elles veulent retrouver dans leur expérience ».
Les programmes personnalisés de développement professionnel tiennent compte des compétences qui sont déjà maîtrisées et de celles que les personnes souhaitent maîtriser, même s’il faut cinq ans pour y parvenir. « Personne n’est perçu comme un pion », a-t-elle ajouté. Des suivis en cours de parcours permettent de partager en détail les éléments à améliorer, les erreurs d’apprentissage avec de nouvelles technologies sont tolérées, le plaisir en apprenant est encouragé et des changements de département et de rôles ne sont pas exclus.
Comme Industries Gould, Adfast mise sur sa créativité pour reconnaître des expériences et des potentiels connexes qui ne sont pas exactement celles qui sont recherchées. « Des entreprises ont une liste d’épicerie et elles aimeraient que le candidat coche toutes les cases. Ce serait un monde parfait. Il faut se demander si la personne a le potentiel d’apprendre avec nos ressources », selon Amélie Castonguay.
Jean-François Lacombe, vice-président du développement des équipements et des technologies de production chez Adfast, a ajouté qu’une finissante de maîtrise en programmation qui ne travaillait pas encore dans son domaine au Québec a été récemment engagée sans entrevue à la suite d’une visite des installations d’Adfast. « Lors de la visite j’ai vu tout de suite ses yeux en voyant nos équipements d’automatisation et de robotisation. J’ai senti de bonnes vibrations. Je ressens les gens comme ça », a-t-il mentionné.
Même chose pour l’embauche d’employés de maintenance, de soudeurs et de machinistes, par exemple, qu’ils soient en début ou en fin de carrière. « Nous demandons d’apporter leurs bottes et de s’habiller pour travailler. Nous les amenons dans l’usine et nous leur faisons rencontrer leur futur mentor ou compagnon. Ce que nous vérifions, c’est leur passion et s’ils veulent travailler », dit-il.
« Les technologies sont un peu des jouets. Il faut que les employés les voient ainsi, qu’ils s’amusent avec, qu’ils se les approprient. Elles deviennent leurs projets. Nous n’attendons pas la réussite instantanée. Nous travaillons et nous développons pour l’atteindre. Nous ne regardons pas le temps passer », a conclu Jean-François Lacombe.
Selon Cyril Hebert, directeur de l’automatisation et de la robotisation des lignes de production, les machines ne sont pas complètement autonomes et indépendantes, sauf qu’elles requièrent moins d’attention qu’avant, ce qui permet aux opérateurs de faire autre chose en plus. Des tâches plus difficiles physiquement, qui ne demandaient pas une grande intelligence ou qui étaient propices aux erreurs humaines d’inattention ont notamment été automatisées.