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Quelques trucs et conseils aux vendeurs et acheteurs

Vendre son entreprise, ça devrait commencer à se préparer au moins 10 ans avant le moment escompté de la retraite. On ne veut pas vendre à n’importe quel prix, et pas à n’importe qui.

Voilà quelques conseils prodigués par Louis-David Malo, conseiller en transfert d’entreprise au Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), à l’occasion d’une entrevue au Magazine MCI.

Le CTEQ a obtenu son mandat d’accompagner les cédants (vendeurs) et repreneurs (acheteurs) d’entreprises du ministère de l’Économie et de l’Innovation parce que le Québec est depuis quelques années le théâtre d’une forte hausse de ce type de transactions.

« C’est la première fois que, avec notre tissu entrepreneurial, on a à faire face à cette vague-là, alors il fallait développer certaines connaissances », explique M. Malo, soulignant qu’avant a formation d’un réel Québec Inc., les entreprises d’ici étaient essentiellement des corporations étrangères ou encore des microentreprises comme des fermes ou des études de notaires, où le transfert de propriété se faisait souvent directement au sein de la famille.

Le CTEQ fait maintenant office d’agent de liaison entre cédants et repreneurs. Les cédants présentent leur entreprise à vendre – identifiée par un numéro, pas par son nom pour ne pas en affecter négativement la valorisation – et les repreneurs affichent les secteurs qui les intéressent.

En date du 10 août 2022, il y avait 288 entreprises à vendre sur l’Index du CTEQ et 645 repreneurs inscrits.

Un repreneur pourrait ainsi envoyer un courriel au CTEQ pour signifier son intérêt envers une entreprise et avoir plus d’information à son sujet.

« Là on va envoyer le profil du repreneur au cédant et, si l’intérêt est mutuel, on va faire signer des ententes de confidentialité et organiser une première rencontre où le repreneur va pouvoir prendre connaissance du modèle d’affaires », indique M. Malo.

Mais pas question de discuter de chiffres tout de suite. Ça viendra au cours d’une seconde rencontre si les deux parties désirent poursuivre le processus.

« Ce qu’on veut faire à la première rencontre, c’est s’assurer qu’il y a un “fit” entre le repreneur et le cédant, au niveau du modèle d’affaires, mais aussi au niveau des personnalités. Si on est dans une situation de confrontation dès la première rencontre, c’est certain qu’au moment de la négociation le “deal” va tomber, alors autant ne perdre trop de temps tout de suite », explique le conseiller.

Combien ça vaut?

Comme pour n’importe quelle autre transaction, le prix est au cœur d’un transfert d’entreprise. Et cette valorisation se prépare pour le cédant.

« Il y en a qui ont très peu valorisé l’entreprise et, quand arrive le moment de faire l’évaluation de la valeur marchande de l’entreprise, ils sont un peu déçus de voir ce qu’elle peut valoir », témoigne l’expert du CTEQ.

Il recommande vivement de faire affaire avec un évaluateur d’entreprise professionnel, qui étudiera les états financiers et exprimera une opinion sur le potentiel de croissance du marché ainsi que le positionnement de l’entreprise dans son marché.

En fin de compte, l’évaluateur expert proposera un facteur multiple du BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement) pour établir la valeur de l’entreprise. Ce multiple est généralement de 3 à 5, mais peut atteindre jusqu’à 10 ou même 14 puisque chaque situation est unique.

« C’est vraiment l’expert qui va fonder ce calcul-là sur l’opinion qu’il a par rapport à la situation de l’entreprise », nous dit M. Malo, insistant sur la neutralité du CTEQ, présent partout à travers la province.

« On ne fait pas d’évaluation marchande d’une entreprise, on ne fait pas de financement, on ne fait pas de contrats, on est plutôt le fil conducteur d’un projet de transfert. Notre rôle, ça va être d’établir un plan de transfert avec les deux parties, les repreneurs et les cédants, et les amener au fur et à mesure à travers les étapes pour qu’ils puissent rencontrer les bons experts pour finaliser le transfert », précise-t-il.

Parmi ces experts il y a évidemment les institutions financières, avec qui il faudra aborder la question de la mise de fonds. Dans le secteur manufacturier, elle oscille généralement autour des 20 % de la valeur de la transaction, mais, une fois de plus, cela peut varier selon le contexte.

Un fiscaliste va également être impliqué dans le processus de transfert. « On veut s’assurer que le cédant va pouvoir bénéficier de son exonération de gain en capital et sous quelles conditions », souligne M. Malo.

Un ou une spécialiste du droit des affaires devra, de son côté, préparer la lettre d’intention du repreneur. « Il y a aussi la convention entre actionnaires si on fait un rachat progressif des actions ou s’il y a plus qu’un actionnaire qui va se joindre à l’entreprise », dit M. Malo pour illustrer l’importance des procédures juridiques.

Un comptable sera également nécessaire pour faire les prévisions financières et le montage financier.

Dans certains cas, les services de développement économique des MRC et les SADC (Sociétés d’aide au développement des collectivités) offrent de tels services.

Le profil d’un repreneur

Un repreneur, ou acheteur d’entreprise existante, n’a pas moins le sens de l’entrepreneuriat que celui ou celle qui démarre son entreprise d’une feuille blanche.

Au contraire ce sont des gens d’affaires aguerris qui savent reconnaître une entreprise déjà établie, rentable, avec des clients, des fournisseurs et des employés déjà en place.

« L’entreprise roule déjà. Ils vont imprimer leur couleur à l’entreprise. Ils vont peut-être changer quelques aspects dans le modèle d’affaires, mais ce n’est pas comme s’ils avaient à tout faire du début », dit M. Malo au sujet des repreneurs, qui sont rarement d’anciens concurrents. « C’est plus souvent quelqu’un dans leur ligne logistique, comme un fournisseur ou parfois un client. »

Il peut aussi s’agir d’un membre de la famille, et là ça peut devenir délicat dans la mesure où les enjeux humains diffèrent d’une famille à l’autre.

Si la famille compte plusieurs enfants et qu’un seul est appelé à y travailler après le départ du ou des parents, la pire erreur selon M. Malo serait de vouloir créer une forme d’égalité entre chacun des enfants en leur octroyant une part égale de l’actionnariat.

« Ça peut être une erreur parce que celui qui va y travailler ne comprendra pas pourquoi les autres vont bénéficier de son labeur alors qu’ils n’ont pas vraiment les mains dans l’entreprise », dit-il.

Pour favoriser une réelle équité entre les enfants, il suggère plutôt des parts équivalentes d’une assurance-vie ou des montants égaux à être versés au décès.

Si plus d’un enfant est impliqué dans le transfert d’une entreprise familiale, il pourrait être avisé de faire appel à un spécialiste en développement organisationnel, qui va aider dans la gestion du changement, les aspects humains, même agir à titre de conseiller lors d’éventuels conflits familiaux.

Pour minimiser la fréquence et l’ampleur de tels conflits familiaux, l’idéal est que chacun des enfants occupe le poste qui lui convient le mieux. Des experts en ressources humaines peuvent procéder à des tests psychométriques aidant à déterminer lequel des enfants est le mieux taillé pour un poste donné.

« Ça va faire un topo sur la personnalité de chacun », dit-il M. Malo, selon qui ces tests permettent de souligner les talents naturels de chacun.

L’annonce de la transaction

Comment annoncer la nouvelle du transfert d’entreprise? Selon notre expert, le pire scénario est celui où les employés se présentent au travail un bon matin pour apprendre que le patron est déménagé quelque part sous les palmiers et a vendu l’entreprise à quelqu’un qui est pour eux un parfait inconnu. Il s’agit d’un cas vécu, précise-t-il.

Pour M. Malo, il est crucial de rassurer les employés et de faire une annonce formelle, où on indiquera que le dirigeant actuel demeurera en place un certain temps pour assurer une transition en douceur.

« Ça va être de les écouter, de les mettre à contribution dans les solutions à apporter pour l’entrée en poste de la nouvelle relève. Plus on met les employés dans le coup, plus on met les chances de notre côté », estime M. Malo.

Les clients et fournisseurs doivent également être préparés au changement de garde.

M. Malo recommande, au moins pour les gros clients, que le cédant leur présente le repreneur afin de les rassurer à l’effet que c’est la bonne personne pour reprendre l’entreprise et qu’il y aura une continuité, qu’il n’y aura pas de ruptures dans leurs commandes.

Il faudra faire preuve du même tact du côté des fournisseurs, pour s’assurer qu’ils vont continuer à offrir les mêmes avantages.

« Il y a beaucoup d’aspects humains dans le transfert », rappelle M. Malo.

Le temps d’apprendre

Il était question plus haut de la possibilité que le repreneur puisse « imprimer sa couleur » à l’entreprise qu’il acquiert. Toutefois, ça doit se faire graduellement, avec respect et humilité… et avec patience.

Dans le cas d’une entreprise manufacturière, le conseiller du CTEQ estime que le cédant devrait rester auprès du repreneur au sein de l’entreprise au moins un an à titre de coach.

« Pas nécessairement à temps plein. Les premiers mois, oui parce qu’il y a beaucoup de trucs à transférer. Toutes les connaissances, les rouages que le cédant a mis dans l’entreprise. C’est lui qui l’a fondée, c’est lui qui a créé les protocoles, qui crée les routines. Ce sont toutes des choses que le repreneur ne connaît pas. Aussi bon soit-il, il va falloir qu’il les apprenne », prévient M. Malo.

Selon lui, il faudrait laisser passer un bon trois mois avant que le repreneur commence à prendre des décisions. Avant cela, il faut qu’il soit en mode observation.

« Il faut qu’il soit l’éponge qui va absorber les connaissances du cédant », image le conseiller en transfert selon qui, si le repreneur en est à sa première entreprise, il doit prendre le temps de développer ce qu’il appelle son « savoir-être entrepreneurial ». Du mentorat provenant de l’externe pourrait être bénéfique à cet effet.

« Ça va être important que le repreneur fasse le tour de l’ensemble des fonctions de l’entreprise, pour se faire connaître, mais aussi et surtout pour connaître les rouages de l’entreprise », ajoute M. Malo, selon qui c’est une bonne manière d’établir sa crédibilité à l’interne.

« Pour nous, un transfert d’entreprise c’est trois choses : le transfert de l’avoir, le transfert du pouvoir et le transfert du savoir », résume en terminant le conseiller du CTEQ au sujet des aspects techniques de la transaction, de la transition à la direction et de l’acquisition des compétences techniques et du savoir-être entrepreneurial.

Par Eric Bérard

Entrevue

Techno Diesel, modèle de transfert d’entreprise réussi

Marcel Thuot, mécanicien de formation, n’avait que 25 ans lorsqu’il a fondé Techno Diesel à Joliette, en 1977.

L’entreprise d’entretien et de réparation de camions et remorques, qui fabrique également des coffres de rangement et des toiles protectrices pour le transport lourd, est demeurée sa seule propriété jusqu’en 1990, alors que son épouse Jacinte Maillot a acquis 50 % de l’actionnariat.

En entrevue au Magazine MCI, M. Thuot explique qu’aujourd’hui, ce sont les quatre filles du couple, Caroline, Marilène, Andrée-Anne et Marjorie, qui dirigent l’entreprise, les parents n’ayant gardé que 20 % des parts via une fiducie.

« On est actifs seulement pour les grandes décisions, particulièrement les décisions d’acquisitions. Mais c’est la seule fonction qu’on a présentement », dit-il au sujet de l’implication actuelle du couple.

Une à la fois, les filles ont intégré l’entreprise après avoir terminé leurs études universitaires. « C’était non négociable, il fallait qu’elles aillent à l’université pour prendre la relève », explique M. Thuot.

Cette transition était planifiée de longue date. « Mes enfants avaient sept, huit ans et je disais à mes chums que je préparais ma relève », se souvient-il.

Savoir qui asseoir dans quel siège aux commandes de l’entreprise n’a apparemment pas été trop ardu puisque les quatre filles avaient des talents complémentaires, que ce soit en matière de décisions stratégiques, d’organisation et planification du travail, de comptabilité ou de technologies.

« Pour moi une entreprise, c’est un véhicule de réalisation personnelle. C’est comme ça que j’ai vendu le rêve à mes filles », dit M. Thuot, expliquant que lui-même a appris sur le tas, qu’il s’agisse de lire des états financiers ou de gérer des ressources humaines.

Il est fier du chemin parcouru et de ce qu’il peut aujourd’hui laisser à ses filles. « L’homme que je suis devenu, c’est grâce à mon entreprise, mais grâce surtout au Groupement des chefs d’entreprise du Québec [maintenant EntreChefs PME], une association qui aide les entrepreneurs à devenir meilleurs chefs d’entreprise », indique M. Thuot.

Lui-même redonne maintenant au suivant puisqu’il agit à titre de mentor auprès d’autres entrepreneurs via le Réseau mentorat, qui lui réfère des candidats.

La transition vers la retraite n’a pas été trop difficile parce qu’elle s’est faite graduellement. « J’ai pris une distance très doucement de l’entreprise », témoigne l’homme d’affaires.

Ce n’est pas tout le monde qui y arrive, indique Louis-David Malo, conseiller au Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ). « Être entrepreneur, c’est un mode de vie, ce n’est pas un emploi », dit-il, ajoutant que plusieurs, au moment de prendre leur retraite, font face à un mur d’anxiété.

Les Thuot-Maillot ont misé sur leurs hobbies et sont demeurés actifs. De fait, au moment de notre entrevue, ils revenaient d’un voyage à moto de plusieurs jours à New York.

Lorsqu’il enfourche sa machine en solo, il arrive à M. Thuot de s’arrêter lorsqu’il voit une entreprise intéressante sur sa route, pour le simple plaisir d’y rencontrer les gens.

Son épouse, une passionnée d’horticulture, et lui ont également fait construire des serres sur le terrain de leur résidence. « On travaille au moins deux jours par semaine chez nous à s’occuper de nos plantations », explique M. Thuot.

Certainement pas de mur d’anxiété causé par un vide existentiel dans ce cas. « Je ne m’ennuie pas, j’en manque de temps », conclut le dynamique retraité.

Par Eric Bérard

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