Le concept d’entreprise 4.0 peut sembler flou et même intimider certaines personnes, ce qui est tout à fait compréhensible. Originaire de la foire d’Hanovre en Allemagne en 2011 cette idée d’une compagnie manufacturière qui obtient et traite des informations numériques afin d’améliorer en temps réel sa production est réellement vaste. Robert Pellerin, professeur de Polytechnique Montréal, explique même qu’il existe plus de 100 définitions de ce concept et qu’il n’y aurait pas à l’heure actuelle de solution globale disponible pour tous les besoins de technologies de l’information des entreprises.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas plonger dans ces nouvelles technologies, bien au contraire. Josée Beaudoin, vice-présidente Innovation et Transfert au sein du CEFRIO, a expliqué que 67% des entreprises manufacturières avec lesquelles l’organisme a collaboré depuis 2012 anticipent des défis du côté de la gestion de projet, de la préparation de l’organisation (temps, ressources, adaptation au changement); mais que seulement 6% craignent un défi financier à cet égard. Les avantages quant au 4.0 seraient importants, nombreux, et concerneraient tant les secteurs manufacturiers, de commerce de détail, de l’aérospatiale, de la mode que de l’économie sociale.
Ces changements apportés par le 4.0 semblent essentiellement technologiques, mais seraient d’abord humains, puisque ce sont les gestionnaires et employés qui déterminent les besoins, sélectionnent les données à traiter et supervisent les outils ainsi que la moindre des opérations. Robert Pellerin, qui a collaboré au fil des ans avec de nombreuses entreprises, souligne même qu’aucune d’entre elles n’a perdu d’employés après l’intégration de ces technologies novatrices.
L’importance des relations humaines dans cet univers technologique a été soulignée à grand trait par Sylvie Desroches, dont l’entreprise familiale Fabelta produit et installe des portes et des fenêtres. C’est d’ailleurs la seule qui ait reçu une salve d’applaudissements après avoir parlé chaleureusement de son essentielle équipe, sans qui la collaboration pour adopter ces technologies de l’information aurait été impossible. Des voisins de table de l’entreprise Fourgons Transit ont ajouté que les employés devaient dès le premier jour être impliqués dans toute transformation majeure, surtout technologique, sinon ce serait l’échec assuré.
Le passage à une entreprise 4.0 est complexe, et il ne faudrait surtout pas hésiter à aller chercher de l’aide, tant financière qu’informative. C’est entre autres le conseil d’Yves Dandurand, pdg de la compagnie Adfast, qui produit des centaines de produits adhésifs et isolants, dont la gestion complexe des compositions, couleurs, d’emballage et de manutention profitent de cette nouvelle science. Certainement encore plus complexe est la gestion de la multinationale des Vêtements Peerless, qui est le plus important fournisseur d’habits pour hommes et garçons d’Amérique du Nord, et le plus grand acheteur mondial de laine. « Des codes sku que l’on retrouve sur les produits, nous en produisons plus d’un million de nouveaux par année. Les commandes sont complexes et la plupart du temps partielles, parce que nous devons faire les achats des textiles et débuter la production des vêtements des mois avant de connaître le nombre exact des produits à fournir, et ce pour de nombreuses marques telles que Ralph Lauren, Calvin Klein, Tommy Hilfiger, Michael Kors, DKNY… », précise non sans humilité Pierre Boucher, vice-président Systèmes et Opérations. À cet égard le CEFRIO a produit en 2013 un document de 64 pages à propos de l’utilisation des technologies de l’information dans l’industrie de la mode.
Jacqueline Dubé, pdg du CEFRIO, a rappelé combien les entreprises québécoises avaient à combler il y a seulement quelques années un retard important à propos de leur utilisation des données numériques. L’organisme a accompagné pas moins de 600 entreprises afin de faciliter leur transition numérique de 2012 à 2018. Cette transformation doit selon elle être dictée non par la technologie, mais par une approche stratégique et selon les besoins réels de l’organisme. Afin de mieux évaluer le potentiel de son organisation plusieurs outils diagnostiques sont disponibles à l’adresse www.pmenumerique.ca. Cette transition devrait selon le CEFRIO s’effectuer en six étapes : l’évaluation de votre capacité numérique actuelle, le développement d’un plan stratégique pour éviter d’agir à la pièce, l’évaluation technologique complète afin d’éviter les dépassements de coûts et les délais, le choix d’une solution en fonction de vos propres besoins, la gestion serrée du projet, ainsi que la planification de la main-d’oeuvre, des formations et des suivis nécessaires.
Plusieurs conseils ont été partagés au fil de la journée, dont celui de ne pas s’imaginer pouvoir acheter une solution complète « one size fits all ». Ou encore de faire une acquisition dans le but de s’en servir un an plus tard : la technologie évolue si rapidement dans ce domaine que ce qui était à la pointe de la technologie il y a trois ans est maintenant dépassé. De même il serait pratiquement impossible de déterminer par soi-même les produits ou le protocole à suivre; le CEFRIO recommande donc la collaboration d’un conseiller neutre, qui ne soit pas lié à un fournisseur particulier. Heureusement l’organisme collabore avec plus de 90 chercheurs d’universités et de centres de recherche, et peut donc vous mettre en lien avec les personnes appropriées.
La dernière présentation de groupe de la journée s’est déroulée en compagnie de professeurs et de chercheurs du domaine : Roland Maranzana, Fehmi Jaafar, Bruno Agard, Sofiane Achiche et Louis Rivest. Parmi les concepts mathématiques, d’implémentation et de choix de solution décrits, les propos de Fehmi Jaafar méritaient toute notre attention. Celui-ci est affilié au Centre de recherche en informatique de Montréal, le CRIM, et spécialiste en cybersécurité. M. Jaafar a souligné que dès qu’il s’agit d’obtenir des données numériques en entreprise, de les transmettre et de les traiter, la moindre défaillance sécuritaire peut être exploitée par des personnes mal intentionnées. Et que l’adoption d’un plan de protection adéquat devrait faire partie de toute transformation 4.0 dès le début du processus.
L’adoption des technologies numériques d’information peut sembler difficile, mais les avantages surpassent les coûts et difficultés du projet, comme l’a entre autres expliqué Martin Richard, d’Héroux-Devtek. « Quand nous avons soumissionné pour faire le train d’atterrissage du Boeing 777, qui est le plus gros au monde pour un avion commercial, nous n’avions ni l’endroit, ni les outils ni la manière de le faire. Nous nous sommes projetés dans l’avenir et avons modifié l’entreprise et fait les investissements nécessaires pour faire ce contrat. » Et vous, comment imaginez-vous votre avenir numérique?
Par Frédéric Laporte