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De Lévis à Helsinki : Davie étend son empreinte navale sur l’Arctique

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Par Eric Bérard

Le 3 novembre dernier, le chantier Maritime Davie, à Lévis sur la Rive-Sud de Québec, annonçait avoir fait l’acquisition des actifs d’une entreprise finlandaise similaire, la Helsinki Shipyard Oy (HSO).

Les modalités financières de la transaction n’ont pas été dévoilées, mais sachant qu’un seul brise-glaces peut parfois se vendre pour plus d’un milliard de dollars, on sait qu’il s’agit d’un mouvement majeur sur l’échiquier industriel mondial.

Le gouvernement du Québec a contribué au financement de l’acquisition à hauteur de 110 millions $, soit 43 millions $ d’investissement en capitaux propres et 47 millions $ sous forme de prêt.

Lors de l’annonce, James Davies qui est président et chef de la direction de Davie en plus d’en être copropriétaire, a affirmé que grâce au savoir-faire du chantier naval d’Helsinki, « le Québec pourra assurer plus efficacement la livraison du carnet de commandes des brise-glaces polaires du Canada, qui est le plus important du monde occidental. »

Il faut savoir que, dans le cadre de sa Stratégie Nationale de Construction Navale (SNCN), le gouvernement fédéral a confié plusieurs mandats d’importance au chantier québécois dont le carnet de commandes est bien rempli.

En réponse aux questions du Magazine MCI, le directeur des affaires externes du Groupe Davie, Marcel Poulin, explique : « Dans le cadre de la SNCN, Davie sera appelé à construire les navires les plus grands et modernes de l’histoire du Canada. »

« Les projets initiaux comprennent sept brise-glaces et deux grands traversiers à propulsion hybride. Les négociations avec le fédéral à cet effet sont en cours et plus de détails seront disponibles sous peu », ajoute-t-il.

Sous-traitance industrielle au Québec

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, voit dans cette acquisition une formidable occasion d’affaires pour les sous-traitants industriels d’ici.

« La collaboration créée dans le cadre de cette acquisition va être bénéfique autant pour le Groupe Davie que ses nombreux fournisseurs partout au Québec », a déclaré le ministre Fitzgibbon lors de l’annonce, qualifiant par ailleurs cette transaction de « gagnante-gagnante des deux côtés de l’océan ».

Il est en effet à noter que Davie peut compter sur un réseau de plus de 1500 fournisseurs de partout au Canada, dont près de 50% sont des PME du Québec.

Parmi eux, on compte des fabricants d’équipements de protection individuelle, des fournisseurs de pièces mécano-soudées, des distributeurs d’outils ou pièces spécialisés, des experts en structures métalliques, des spécialistes de la finition intérieure, des sous-traitants techniques et plusieurs autres encore.

« C’est une étape supplémentaire qui permettra à la région de Québec de devenir un pôle maritime de calibre mondial », a pour sa part commenté Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada.

Transfert de connaissances

Selon le communiqué émis par Davie, La transaction offrira des possibilités de développement à tous les employés, encouragera la collaboration, facilitera le transfert de connaissances, donnera accès à davantage de ressources et stimulera le potentiel d’exportation.

Nous avons demandé au porte-parole Marcel Poulin comment cela se traduira concrètement.

« Le chantier naval d’Helsinki se distingue comme le chantier le plus expérimenté au monde dans la construction de navires de classe glace », dit-il dans un premier temps. [NDLR : Un navire classe glace en est un dont la classification technique lui permet de naviguer dans des eaux glacées, sans pour autant être un brise-glaces.]

Le savoir-faire des travailleurs finlandais en la matière sera d’une grande valeur pour le Groupe Davie, ajoute-t-il, disant que cette expertise « a joué un rôle prépondérant dans la réalisation de la majorité des brise-glaces à l’échelle mondiale au cours des dernières décennies. »

« Depuis 1954, le chantier d’Helsinki a construit 66 brise-glaces, soit huit fois de plus que sur la même période son concurrent avec le plus d’expérience », précise M. Poulin.

Selon le porte-parole, cet échange de connaissances permettra d’optimiser la productivité au chantier de Lévis, profitant ainsi aux 800 employés québécois comme aux 400 que compte le chantier d’Helsinki.

Sans faire de mauvais jeux de mots, il y aura même une forme « d’immersion » pour les travailleurs québécois et finlandais puisque des échanges de personnel sont prévus entre les deux entreprises.

Celles-ci demeurent des entités juridiques et opérationnelles distinctes mais le siège social de l’entreprise demeure à Lévis, comme c’est le cas depuis 1887 (la ville s’appelait Lauzon à l’époque).

Environnement

Davie compte par ailleurs poursuivre ses objectifs environnementaux et, selon son porte-parole, vise à faire des installations de Lévis « le chantier naval le plus écologique du Canada. »

Déjà en 2017, Davie a fait office de pionnier en livrant les deux premiers traversiers alimentés au gaz naturel liquéfié (GNL) construits en Amérique du Nord.

L’entreprise travaille également, en collaboration avec des chercheurs de l’Université Laval, à l’alimentation en ammoniac vert de moteurs diesel traditionnels, en réduisant ainsi considérablement l’empreinte carbone.

La protection des mammifères marins fait également partie des priorités de Davie puisque, en collaboration avec l’Université de Sherbrooke cette fois, l’entreprise travaille à un projet de recherche visant à évaluer les différentes technologies de réduction du bruit sous-marin rayonné par les navires.

La route de l’Arctique : enjeux commerciaux et militaires

Les changements climatiques ont rendu l’Arctique plus propice à la navigation pour certains bâtiments adaptés à ses conditions, qui demeurent polaires. Le trajet par l’Arctique est plus court, ce qui réduit les frais de transport commercial.

Cet accès facilité aux routes maritimes nordiques de Russie, du Canada et des États-Unis soulève cependant aussi des enjeux stratégiques et de défense nationale.

Pour le porte-parole de Davie, le chantier naval d’Helsinki devient ainsi un actif hautement stratégique pour les pays alliés de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord).

« Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la coopération dans l’Arctique est devenue encore plus sensible. Alors que la Russie et la Chine multiplient les investissements en Arctique, les brise-glaces jouent un rôle stratégique dans la protection des intérêts du Canada dans la région », souligne M. Poulin.

Il ajoute que la mise en commun des expertises des chantiers d’Helsinki et de Lévis « permet au monde occidental d’accéder à une expertise de construction navale pour l’Arctique, unique et très en demande. »

Chose certaine avec ce rayonnement jusqu’en Finlande, le génie québécois s’illustre une fois de plus, pour le plus grand bien de la communauté industrielle, commerciale et civile d’ici.

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