Que nous réserve 2022 sur le plan économique? Les prédictions sont toujours un peu risquées dans la mesure où beaucoup de choses – catastrophes naturelles, frictions militaires, etc. – peuvent modifier le cours des événements.
Toutefois, si l’on étudie les tendances à long terme, il est possible d’établir un certain nombre de paramètres. C’est ce que nous avons fait à la mi-janvier, à l’occasion d’une entrevue avec Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins.
Inflation et taux d’intérêt
Au moment de l’entrevue, le taux d’inflation frôlait les 5% et, de façon générale en pareil contexte, les banques centrales tendent à hausser les taux d’intérêt pour éviter une surchauffe de l’économie. Habituellement, les institutions financières suivent elles-mêmes ces hausses de taux.
Selon Mme Noreau, « Au moment où on se parle, ce qui est anticipé ce sont trois hausses de taux d’intérêt d’un quart de point pour l’année 2022 », dit-elle au sujet des décisions prévues du côté de la Banque du Canada.
Elle parle d’une augmentation lente et progressive, avec une première hausse qui viendrait au tout début du deuxième trimestre de 2022.
Une inflation galopante pourrait cependant venir changer la donne.
« La mécanique de la hausse des taux d’intérêt, c’est entre autres pour calmer l’inflation, ralentir quelque peu l’économie. Les données des prochains mois vont peut-être faire en sorte que cette hausse-là soit avancée ou retardée, mais pour l’instant notre pronostic est à l’effet qu’on aura trois hausses cette année », nous dit l’économiste.
L’inflation, c’est également une hausse des coûts des matières premières, des intrants. « Dans le domaine industriel et de l’industrie lourde, ce n’est quand même pas négligeable, cet effet-là », souligne Mme Noreau.
Son collègue Marc-Antoine Dumont, aussi économiste chez Desjardins, s’intéresse particulièrement aux prix des métaux qui, semblent adopter une tendance à la baisse après une croissance très forte en 2021. Bonne ou mauvaise nouvelle? Ça dépend si vous achetez des métaux pour votre production ou si vous êtes une minière qui vend du minerai.
« On est dans une situation où l’offre est assez limitée, donc le marché est très volatil. Mais somme toute, nous ce qu’on anticipe c’est une modération tranquillement de la demande, en même temps que l’offre se rajuste », indique M. Dumont.
L’inflation touchera également les employés du secteur manufacturier et de l’industrie lourde, mettant une pression à la hausse sur les salaires. Selon Mme Noreau, les entrepreneurs devront gérer serré, surtout que ce n’est pas dans tous les cas que ces augmentations pourront être refilées à la clientèle.
« Ça demande une réorganisation à certains égards, peut-être dans la production ou dans les relations clients, mais il est clair que la position est délicate et va demander du doigté de la part des gestionnaires du secteur industriel », dit-elle.
Pétrole et dollar canadien
Les cours du pétrole ont un impact sur l’industrie qui en consomme pour se chauffer ainsi que pour le transport des marchandises, entrantes et sortantes.
Selon l’experte de Desjardins, le prix du baril de pétrole aurait atteint son pic. « C’est clair qu’on ne s’en va pas vers les 50 $ le baril mais la majorité des hausses sont déjà encaissée », dit-elle.
Elle rappelle qu’en 2021, le marché était autour de 68 $ pour le WTI, alors 2022 démarre assez haut, à 77 $ – 78 $ U.S. au moment de l’entrevue. Toutefois, cela devrait se stabiliser et elle prévoit plutôt un baril de pétrole WTI aux environs de 73 $ U.S. pour 2022 grâce à une augmentation de l’offre.
Le Canada étant pays producteur de pétrole, sa devise suit généralement – à la hausse ou à la baisse – les cours de l’or noir. À quoi doivent s’attendre les industriels qui vendent ou achètent aux États-Unis?
Mme Noreau souligne dans un premier temps que l’année 2021 s’est terminée avec un dollar canadien valant environ 77,5 cents U.S. « Vers la fin de 2022 on serait plus près des 80 sous », dit-elle, ajoutant cependant que si la Banque du Canada hausse ses taux avant la Fed américaine, celle pourrait rendre notre huard plus attirant – ne serait-ce qu’un certain temps – pour les investisseurs. Elle maintient néanmoins ses projections d’un huard aux environs de 80 cents U.S.
« Ça demeure une prévision et elle peut être entachée par beaucoup d’aléas comme on l’a vu depuis deux ans, où on fonctionne avec d’anciens outils mais avec des situations vraiment nouvelles », précise l’économiste.
Croissance et investissements en automatisation
Après une année 2021 où la croissance de l’économie du Québec (environ 6,5%) a été plus élevée qu’escompté par de nombreux analystes, Mme Noreau estime que la croissance sera toujours au rendez-vous en 2022, bien que moins trépidante que l’an dernier.
« Parce que l’effet de rattrapage va être fait, entre autres au Québec où on a rejoint le niveau de PIB qui prévalait avant la pandémie en février 2020 dès mars 2021 », rappelle-t-elle.
Ce léger ralentissement prévu ne sera pas suffisant pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, généralisée au Québec. Mme Noreau estime qu’il faudra une bonne décennie pour que les jeunes que l’on forme et que les nouveaux arrivants au pays soient pleinement productifs.
Mais si les taux d’intérêt sont appelés à grimper, est-ce vraiment le moment d’investir dans la robotisation et/ou l’automatisation des activités industrielles et manufacturières?
« Je ne fais pas de recommandation à ce titre-là. Mais je sais une chose, c’est que si on regarde la question de la pénurie de main-d’œuvre, elle ne va pas se résorber à brève échéance », explique la spécialiste de Desjardins, selon qui il importe d’abord de peser les avantages et les inconvénients liés à de tels investissements.
« Le calcul doit être fait aussi en fonction de “est-ce que on peut se permettre d’attendre?” », estime Mme Noreau.
Dépenses des ménages
Les gens ont beaucoup épargné au cours de la première vague de la pandémie, en raison de l’incertitude ambiante. Vont-ils délier les cordons de la bourse en 2022 et ainsi faire tourner les usines davantage?
« Les gens ont encore des sommes accumulées. Le taux d’épargne est plus élevé actuellement qu’il ne l’était avant la pandémie », observe dans un premier temps notre invitée.
« Ce qu’on pressent, pour le Québec à tout le moins, c’est qu’il va y avoir encore un niveau de dépenses important, mais moins fort du côté des biens que ça a été parce que les gens sont allés chercher énormément de choses pour vivre chez eux. Que ce soit de la rénovation, ou encore des articles de loisir, etc. »
« Là où on pense que la croissance va se faire sentir un peu plus rapidement, c’est du côté des services qui, au cours de la dernière année, ont été ouverts/fermés/ouverts/fermés », dit Mme Noreau au sujet de secteurs tels que la restauration ou l’hébergement.
Reste que l’être humain est parfois une créature imprévisible. « On ne sait pas dans quelle mesure les gens vont avoir été échaudés durant la pandémie et voudront se garder un coussin de sécurité plus important que celui qu’ils avaient avant que la pandémie arrive », dit-elle.
Pour les industries tributaires de la construction et de l’activité immobilière, l’économiste principale de Desjardins prévoit un recul en 2022. « Il y a une demande qui a été frénétique au cours de 2020 et 2021 et on a répondu à une partie de la demande. Et le coût des maisons actuellement fait en sorte qu’on va peut-être avoir moins de gens qui vont se précipiter pour acheter une propriété, qu’elle soit neuve ou usagée », dit-elle précisant que cette baisse pourrait néanmoins être salutaires à certains égards.
« Peut-être que ça va permettre de retrouver un rythme de production plus vivable. Parce que ça a quand même été très intense. Il y a sûrement des entreprises qui ont été obligées de refuser ou de retarder des contrats », dit-elle.
Chaînes d’approvisionnement
Une autre grande inconnue de 2022 est de savoir si les chaînes d’approvisionnement mondiales parviendront à se stabiliser après des mois de perturbations, notamment avec des navires coincés en mer faute de personnel et de matériel pour recevoir leur marchandise dans les ports. Là-dessus, Mme Noreau semble plutôt optimiste.
« Au niveau de la réception ça s’est passablement amélioré parce que là on a identifié les problèmes formellement », dit-elle, citant l’exemple du port de Los Angeles qui a ajusté ses opérations pour que le travail se fasse 24/7.
Le camionnage s’est également adapté aux nouvelles conditions, estime-t-elle. « On est en train de diminuer ces goulots d’étranglement. »
« On n’est pas à l’abri complètement de perturbations, sauf qu’on commence à être plus habiles dans les façons de les régler. On a appris », résume l’économiste.
Mme Noreau croit qu’il faut tabler sur le fait que les gens vont continuer à se parler et à s’adapter. « Il n’y a personne qui a avantage à ce qu’on rencontre des problèmes aussi importants que ceux qu’on a rencontrés dans le passé », dit-elle, ajoutant que, malgré l’usure de la patience, « On ne peut plus se permettre de fermer complètement l’économie, ou une partie de l’économie. »
« Éventuellement, on va sortir d’Omicron », conclut notre invitée, qui entrevoit une levée graduelle des restrictions sanitaires pouvant contribuer à un nouveau souffle économique.
Par Eric Bérard
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