Partager :
Auteur:  

Une firme du Saguenay redonne du muscle à un barrage hydroélectrique du nord de l’Ontario

Les barrages hydroélectriques ont ceci d’admirable qu’ils permettent de produire de l’énergie propre, sans aucune émission de gaz à effet de serre.

Il faut cependant savoir doser la quantité d’eau qui est envoyée aux turbines pour transformer l’énergie cinétique en énergie électrique. Si le débit devient trop élevé, les opérateurs d’un barrage peuvent ouvrir différentes vannes pour contrôler la circulation de l’eau. Celles-ci prennent la forme de gigantesques portes métalliques qui se déplacent de haut en bas.

Mais voilà, les changements climatiques sont venus brouiller les cartes au barrage Little Long dans le nord de l’Ontario, alors que les crues printanières sont maintenant plus fortes sur la rivière Mattagami, explique Michel Pouliot, ingénieur chez Canmec, une entreprise du Saguenay spécialisée dans la conception, la fabrication et l’installation de composantes métalliques lourdes.

Afin de moderniser le système de gestion du barrage situé à environ 90 kilomètres au nord de Kapuskasing, Canmec a obtenu le contrat de remplacer les 10 vannes existantes du barrage de l’Ontario Power Generation, en plus d’en installer quatre additionnelles.

« Les anciennes vannes ne sont plus assez robustes pour retenir ou évacuer l’eau », indique M. Pouliot, le directeur de ce projet en entrevue au Magazine MCI. Question d’illustrer ce dont il est question lorsqu’on parle de robustesse, disons simplement que chacune des 14 nouvelles portes du complexe doit pouvoir soutenir une poussée maximale de plus d’un million de livres d’eau.

Qui dit nouvelles vannes dit également nouveaux guides dans lesquels les portes vont coulisser, des treuils pour manœuvrer les câbles d’acier qui les font bouger de bas en haut, des roues d’acier inoxydable pour faciliter le mouvement ainsi que de l’équipement de contrôle électrique. Tout un défi, mais les saguenéens de Canmec en ont vu d’autres, notamment dans les secteurs des alumineries, de la mécanique industrielle, des ponts et structures ou encore les pâtes et papiers.

Technologie et gigantisme

L’entreprise québécoise a obtenu le contrat en mai 2020, alors que la toute première vague de la pandémie de COVID-19 faisait rage. « On a déposé la soumission quand le gouvernement venait de nous confiner », se souvient le directeur de projet.

« C’était comme irréel de négocier des contrats d’envergure avec des gens alors qu’on entendait des enfants rire en arrière, on entendait la télévision sur Zoom. Ça a vraiment changé l’ambiance de la négociation et de tout ce qu’il y a autour », ajoute M. Pouliot.

Le projet a été de type « fast track », c’est-à-dire que les premières étapes de la fabrication ont pu se mettre en branle avant que les derniers détails de conception aient été établis et que les premières phases des travaux d’installation ont commencé même si les 14 nouvelles vannes n’étaient pas toutes terminées.

Tommy Gagnon, responsable de la technologie chez Canmec, précise que les pièces principales qui composent ces « portes extrêmes » pèsent à elles seules 27 000 kg. Et une fois assemblées avec l’équipement auxiliaire, elles affichent un poids de 84 000 kg, pour une taille imposante de 10,9 mètres de hauteur par 13,2 mètres de largeur et une épaisseur de 1,9 mètre.

Tous les travaux de soudure ont été automatisés, grâce à une collaboration entre Canmec et la firme AGT Robotics, qui ensemble ont créé ce qu’il est convenu d’appeler une cellule robotique.

« C’est vraiment de très, très grosses pièces et automatiser la soudure de pièces de cette dimension-là, c’est vraiment très peu commun », explique M. Gagnon.

Son collègue Pouliot indique que le matériau privilégié pour le corps des vannes a été de l’acier de catégorie 2. « C’est un acier plus dur à obtenir. De l’acier carbone toujours, mais qui résiste à des températures plus basses », dit-il.

Il faut savoir que Kapuskasing est située à un peu plus de 300 kilomètres à l’ouest de La Sarre en Abitibi et que, tout comme aux latitudes nordiques du Québec, il peut y faire très froid l’hiver comme on le verra plus loin.

Travail de précision

La première étape de la fabrication est la découpe des pièces, qui se fait au plasma ou par oxycoupage, selon l’épaisseur de la plaque à travailler. L’assemblage des pièces a été pris en charge par les ouvriers de Canmec avant de passer à la soudure du robot d’AGT.

Le contrôle de qualité est une préoccupation de tous les instants. « On assemble les trois sections de vanne en usine de façon horizontale plutôt que verticale pour s’assurer que toutes les tolérances sont respectées. On les démantèle ensuite et on les livre au chantier », explique Alex Fortin, vice-président production de Canmec. Des outils de mesure au laser sont utilisés pour assurer que l’alignement est optimal, renchérit M. Gagnon.

Il faut garder à l’esprit que même s’il s’agit de pièces massives, elles n’en sont pas moins des trésors de précision.

« Ce qui fait le défi de fabriquer des vannes comme celles-là, c’est les tolérances d’usinage des pièces. Il faut que les guides qui supportent ces vannes-là soient usinés à 0,37 millimètre près. On ne peut pas avoir entre deux points sur le guide plus de 0,37 millimètre d’écart », dit M. Pouliot au sujet de ces pièces.

Selon lui, c’est là que se trouve le réel défi de ce projet bien particulier. « Si on perd l’alignement, la pression d’eau fera que le barrage ne sera pas étanche », précise le directeur de projet.

L’étanchéité est également clé de la phase d’installation des portes géantes, puisqu’il a fallu empêcher le débit d’eau de nuire à la mise en place des vannes par les travailleurs de Canmec. Des poutrelles insérées dans des guides en amont ont permis de le faire.

Logistique et froids polaires

Le transport des pièces – chacune pouvant peser 33 000 kg – du Saguenay au nord de l’Ontario n’a pas été une sinécure. La firme de camionnage Dimension Transport, spécialisée dans le transport hors normes, a l’habitude de ce genre de missions qui impliquent l’obtention de permis spéciaux, parfois la fermeture de routes et l’accompagnement d’escortes routières.

Mais dans ce cas précis, un défi supplémentaire se posait aux équipes de transport et d’installation : l’espace restreint. « Dans ce genre de chantier-là, on n’a pas de place pour décharger toutes nos pièces et les installer par après. On doit les décharger et les installer le jour-même », relate M. Pouliot.

Puis, il faut s’assurer de disposer des capacités portantes nécessaires pour mettre en place ces monstres d’acier. Canmec y est parvenue en construisant sur mesure une grue portique sur rails temporaire d’une capacité de 55 tonnes métriques.

Ça, c’est quand tout va bien. Mais à – 35o C sur la rivière Mattagami sans aucun obstacle pour bloquer le vent, le froid est tout aussi mordant pour la machinerie que pour les travailleurs.

Ces froids extrêmes ont en effet un impact sur le rendement du moteur électrique de la grue, qui n’a plus autant de capacité de levage. Donc à – 35o C et moins, il a fallu stopper les travaux. C’est arrivé plus d’une fois, dont un épisode de cinq jours d’affilée.

Le chantier d’installation devrait être complété en mars 2023, avec 14 portes-vannes toute neuves. « On a eu environ deux ans entre la réception de la commande et la mobilisation au chantier », précise M. Pouliot.

Le projet, qui porte le nom officiel de « Little long Dam Safety Project », aura mobilisé sur deux ans près de 70 ingénieurs, assembleurs-soudeurs, machinistes, monteurs d’acier et mécaniciens industriels.

Une équipe de bleuets du Saguenay qui sait faire voyager son savoir-faire. Aussi lourd soit-il.

Cr image : Canmec

Par Eric Bérard

Votre entreprise a réalisé un projet d’envergure? Ou infiniment petit, infiniment ingénieux? Modernisé son usine de façon inédite? Vous en avez gardé des photos de bonne qualité? Faites-nous parvenir un courriel à eric.berard@videotron.ca avec une brève description de cette réalisation et vous aussi pourriez être mis en vedette dans le MCI, c’est entièrement gratuit.

D’autres articles exclusifs des journalistes MCI pourraient vous intéresser

Lire notre plus récent magazine
Nos annonceurs