Par Jules Gaudin & Henri Lajeunesse, ROBIC
Imaginons que chaque fois que quelqu’un achète ou vend quelque chose, il prépare une note avec les détails de la transaction qu’il va souhaiter placer dans une grande boîte à chaussures. Chaque note est vérifiée par plusieurs personnes pour s’assurer que tout est correct (les chaussures étaient bien en la possession du vendeur et l’acheteur avait bien les fonds suffisants pour payer son achat), avant d’être placée dans une boîte que l’on referme définitivement et que dont le contenu ne pourra plus jamais être modifié (même si l’on a commis une erreur). Cette boîte peut être considérée comme un bloc de la blockchain : comme si chaque transaction était enregistrée sur une feuille de papier et placée dans une boîte à chaussures, puis verrouillée pour toujours.
Au fil du temps, de nouveaux blocs sont ajoutés à la suite de cette première boîte, formant une longue série de transactions sécurisées et vérifiées. Pour s’assurer de créer une chaîne, on inscrit sur l’avant de chaque boîte un code secret qui est présent à l’arrière de la boîte et que l’on génère en comptant le nombre de papiers présents dans chaque boîte. Personne ne peut changer ou voler les informations, car elles sont protégées par plusieurs verrous (si l’on enlève un papier, on changera le code secret de la boîte et la chaîne ne sera plus juste) et vérifiées par plusieurs personnes sur le réseau.
Avec cette métaphore, on comprend que la blockchain ou la chaîne de blocs peut être vue comme une longue série de boîtes à chaussures qui contiennent des informations sur toutes les transactions effectuées sur le réseau. C’est un système de confiance qui permet aux gens de faire des transactions en toute sécurité, sans avoir à faire confiance à une seule personne ou institution pour vérifier les informations, ou qui serait responsable d’un « petit livre noir » qui viendrait lister toutes les transactions qui sont intervenues au cours des années.
Les débuts de la blockchain
Pour savoir quand tout a commencé, il faut retourner en 2008, lorsque Satoshi Nakamoto, un pseudonyme utilisé par une personne ou un groupe de personnes, a publié un livre blanc intitulé « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System ». Le livre blanc venait décrire le concept d’un registre public et décentralisé capable d’enregistrer les transactions sur un réseau sans s’appuyer sur un centre unique de contrôle ou de vérification des transactions, mais plutôt sur un grand nombre de participants venant vérifier et valider les transactions ensemble.
La blockchain est donc une base de données décentralisée, c’est-à-dire un système de stockage de données qui n’est pas contrôlé par un seul organisme ou une seule entité centralisée. Au lieu de cela, les données sont stockées sur de nombreux ordinateurs différents, souvent appelés nœuds, qui sont tous connectés ensemble en réseau. Ainsi, aucun nœud individuel ne contrôle les données ; chacun a une copie complète de la base de données. Cela signifie que si un nœud tombe en panne ou est compromis, les données restent accessibles depuis les autres nœuds. Cela permet de garantir la disponibilité des données et la tolérance aux pannes, car il n’y a pas de point unique de défaillance. Les bases de données décentralisées sont souvent utilisées dans des applications qui nécessitent une transparence et une sécurité accrues.
Pour déterminer les données que l’on intègrera dans la base de données, on viendra mettre en place plusieurs mécanismes pour faire « valider » les transactions, comme par un processus appelé preuve de travail (Proof of Work) ou validation par consensus, où plusieurs ordinateurs sur le réseau de la blockchain effectuent des calculs pour vérifier la validité de la transaction. Si la majorité des ordinateurs sur le réseau sont d’accord sur la validité de la transaction, alors elle est ajoutée à un bloc. Ce bloc est ensuite ajouté à la chaîne de blocs, ce qui signifie que la transaction est maintenant enregistrée sur la blockchain et considérée comme vérifiée et permanente. Dans la même idée, on peut aussi s’appuyer sur la preuve d’enjeu (Proof of Stake). Les validateurs sont choisis en fonction de la quantité de jetons qu’ils détiennent et qu’ils sont prêts à « miser » pour valider les transactions. Lorsqu’une transaction est présentée, un validateur est choisi aléatoirement en fonction de la quantité de jetons qu’ils ont mis en jeu. Ce validateur vérifie la transaction et la signe. Si la transaction est considérée comme valide, elle est ajoutée à un bloc.
Mais pour mieux comprendre comment la blockchain peut être une technologie intéressante, ou apprécier son utilité, il peut être pertinent de regarder quelques applications pratiques de celles-ci.
Modes alternatifs de résolution des conflits et arbitrage
La mise en œuvre de la blockchain en matière de résolution de conflits — notamment en matière d’arbitrage, de médiation et de négociation — continue de s’imposer dans le milieu juridique. À titre d’exemple, des plateformes d’application de résolution de conflits, telles que Kleros, Aragon et Sagewise, présentent un modèle de règlement de litiges s’appuyant exclusivement sur l’utilisation de la blockchain. Ce modèle met notamment de l’avant l’utilisation contrat intelligent comme outil d’exécution de la décision.
Les principales étapes d’un processus d’arbitrage via la blockchain, par exemple, pourraient se résumer ainsi : (1) en cas de litige, le contrat intelligent notifie un arbitre par le biais d’une interface de résolution des litiges sur la blockchain; (2) toujours via la blockchain, les parties peuvent numériser la documentation requise pour les fins de l’arbitrage, pensons par exemple aux termes d’un contrat contesté. De plus, les fonds pourront être versés et stockés par l’entremise d’un contrat intelligent afin que le travail puisse être effectué en toute sécurité. Il en résulte une préparation et une présentation de la documentation sans aucune participation d’une tierce partie; (3) à l’issue de la décision de l’arbitre, le contrat intelligent exécutera automatiquement la décision de l’arbitre.
Bien que l’exemple précédent ne soit qu’à titre illustratif, la mise en application à grande échelle de la résolution de conflits par l’entremise de la blockchain pourrait permettre, entre autres, d’assurer la confidentialité des informations reliées au litige, notamment par l’automatisation et la préservation de l’intégrité des données. La réduction du temps consacré à la préparation, à la manipulation et à la mise à jour des dossiers permettrait également de réduire les risques associés à l’erreur humaine, en plus de réduire les délais de traitement des dossiers par les institutions juridiques et d’offrir une plus grande accessibilité à la justice.
Quelques éléments doivent toutefois être évalués et constituent des préoccupations en lien avec l’implémentation de ce modèle : ce dernier ne comporte actuellement pas certaines caractéristiques essentielles de l’arbitrage tel qu’on le connaît. Notamment, le respect des procédures en matière d’arbitrage telles qu’on les connaît doit être maintenu, peu importe le médium, et ne doit pas être négligé aux dépens de la recherche de la rentabilité.
Suivi et certification de produits
L’application de la blockchain se fait également ressentir en matière de suivi et de certification de produits, comme dans l’industrie des produits de luxe.
L’intégration de la blockchain dans l’univers « du luxe » trouve son fondement dans la valeur généralement associée à ce type de marchandise. En effet, cette valeur augmente les risques associés à la contrefaçon : la vigilance est requise dans le processus de certification, peu importe le processus choisi.
L’utilisation de la blockchain a pour effet de simplifier le processus de suivi des produits, en plus d’apporter une plus grande transparence, ce qui, à long terme, augmente la confiance du client face aux produits qu’il se procure et réduit les risques associés à l’introduction de produits contrefaits dans ce marché. Comment est-possible?
Un processus « d’empreinte numérique unique » est présentement utilisé par plusieurs sociétés qui œuvrent dans le domaine. Ce processus permet l’enregistrement du produit dans la blockchain en lien avec cette empreinte unique, ce qui permet de documenter de façon permanente de toute action liée à un produit, telle que le transport, le transfert de propriété et la divulgation d’information le concernant.
À titre d’exemple, la compagnie Everledger propose ce type de services pour les biens de grande valeur, notamment les diamants et le vin. Cette dernière procède également à la création d’un « jumeau numérique » du bien, ce qui permet une traçabilité de celui-ci par l’entremise d’une plateforme sécurisée, inaltérable et privée. En effet, lorsqu’une action en lien avec le produit est enregistrée sur la blockchain, il devient impossible de supprimer cette action, voire de la modifier.
En plus des bénéfices soulevés ci-dessus, l’utilisation de la blockchain à long terme pour le suivi et la certification des produits est susceptible d’augmenter la valeur des biens certifiés par l’entremise de la blockchain, en plus de diminuer la valeur des biens volés ou contrefaits.
Paiements automatisés ou « automated escrow »
La blockchain peut également être mise à profit dans le cadre des transactions commerciales impliquant le mécanisme de contrats de séquestre. De façon générale, un service de séquestre implique la création d’un contrat de garantie entre les parties, où des actifs seront « en latence » et placer sous l’intervention d’un tiers, jusqu’à l’accomplissement des conditions stipulées au contrat. Par exemple, dans le cadre d’une transaction (comme la vente d’un produit), les fonds en latence seront versés par le tiers au vendeur, la Partie A, lorsque le produit sera dûment livré et accepté par l’acheteur, la Partie B.
Le principe demeure le même pour un service de séquestre par blockchain (automated escrow). Le tiers intervenant, toutefois, est « suppléé » par un contrat intelligent enregistré sur la blockchain. Toujours suivant le même principe, la rétention de fonds ou d’actifs est effectuée jusqu’à ce que certaines conditions énoncées au contrat intelligent soient remplies et vérifiées.
Il peut être intéressant de faire appel à la technologie blockchain pour certaines transactions complexes ou délicates, car la décentralisation associée à cette technologie permet l’élimination de l’intervention d’une tierce partie. Les risques de sécurité en sont ainsi diminués, puisque la transaction peut être effectuée de manière neutre, impartiale et transparente. En effet, avec un service de séquestre par blockchain, les actifs et les fonds ne sont réellement sous le contrôle d’aucune des parties.
Les conditions prédéfinies et immuables en lien avec la transaction étant enregistrées dans la blockchain, il est absolument nécessaire que ces conditions soient remplies pour que le transfert d’actifs soit généré : autrement, les actifs sont remis entre les mains de la partie ayant initialement déposé ceux-ci.
À l’heure actuelle, les services de séquestre par blockchain sont largement utilisés pour la cryptomonnaie, pour les plateformes prenant en charge des contrats intelligents. Ils seront assurément mis en application dans le secteur commercial dans un avenir plus proche que lointain.
La blockchain : un outil à adapter selon ses besoins
Si la blockchain peut donc sembler être un outil intéressant, il faut dans tous les cas faire une analyse au cas par cas pour déterminer si cette technologie est réellement adaptée à ses besoins et surtout, s’il est pertinent de la mettre en place. Il existe en effet parfois des solutions moins techniques et tout aussi performantes capables de répondre à ces besoins précis.
Plus encore, la blockchain présente des défis spécifiques du fait de son fonctionnement. Par exemple, il est souvent entendu que la blockchain ne fait que « déplacer la confiance » : si l’on n’a plus besoin de faire confiance à un intermédiaire, il faut cependant faire confiance aux individus en bout de chaîne. Dans le cadre par exemple du suivi de marchandise, que se passe-t-il si le producteur initial rentre des informations fausses ou trompeuses sur l’origine de la marchandise?
On aura la certitude que ces informations n’auront jamais pu être changées pendant le transport, mais cela ne changera pas le fait que les informations initiales sont bien fausses…
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