Malgré des vents contraires et des turbulences qui l’ont un peu secouée ces derniers temps, l’industrie aéronautique se porte bien au Québec, et c’est beaucoup grâce à sa diversité.
Il y a bien sûr les avionneurs eux-mêmes et la CSeries de Bombardier, reprise par Airbus qui a rebaptisé le programme A220, représente un legs de première importance par ses innovations technologiques découlant du génie québécois. D’ailleurs, le chef de la chaîne d’approvisionnement d’Airbus Canada, Sven Kaesser, est le premier à le reconnaître dans une entrevue accordée au Magazine MCI, un peu plus loin dans ce dossier.
La planète aéronautique d’ici, c’est également toute une constellation de fournisseurs et sous-traitants dont le terrain de jeu est désormais la planète entière.
Mais surtout derrière tout ça, il y a des gens, des cerveaux. À l’occasion d’une conversation avec Mme Suzanne Benoît, présidente-directrice générale d’Aéro Montréal, la grappe aéronautique du Québec, celle-ci faisait remarquer à juste titre : « Une des grandes forces de notre industrie, c’est la concentration et la proximité. Dans un rayon de 30 km, vous allez retrouver à Montréal les facultés de génie, les écoles de formations techniques, etc. »
Il ne faut ainsi pas se surprendre que le porte-parole d’Airbus Canada cite justement la proximité de l’École nationale de l’aéronautique (ÉNA) rattachée au Cégep Édouard-Montpetit. Ou qu’un fabricant de composantes aéronautiques d’envergure mondiale comme Lauak Canada, établi à Mirabel, travaille à établir des liens d’affaires avec une autre entreprise ayant pignon sur rue à Mirabel, Bell Helicopter.
Bref, l’industrie aéronautique québécoise a depuis longtemps franchi les frontières de la province et c’est par le métissage des savoirs et des savoir-faire qu’elle peut viser les plus hauts sommets de la stratosphère.
Entrevue avec Svan Kaesser – Airbus Canada
Lorsque Bombardier a cédé la CSeries à l’européen Airbus qui en a fait l’A220, les sentiments ont été mitigés. Certains y ont vu la perte d’un fleuron québécois, alors que d’autres ont perçu la transaction comme l’occasion de mener encore plus loin le travail de développement entamé ici.
Il convient de rappeler que le gouvernement du Québec – autrement dit, nous tous – est propriétaire à 25 % de la société en commandite qui commercialise les diverses versions du monocouloir de 100 à 150 places.
L’une des choses qu’Airbus a amenées à la CSeries rebaptisée A220, c’est ce que Sven Kaesser, chef de la chaîne d’approvisionnement de la Société en commandite Airbus Canada, qualifie de « force de frappe » de son réseau de vente et de marketing. Cela « afin d’assurer le succès continu du programme A220 », dit-il au sujet du positionnement de l’appareil au sein des flottes des compagnies aériennes parmi les prestigieuses au monde.
« L’industrie aéronautique du Québec est très agile et dynamique », analyse M. Kaesser en entrevue au Magazine MCI, estimant par ailleurs que cette grappe industrielle constituée d’entreprises aussi diverses que multiples a atteint « une masse critique importante, ce qui représente un développement sain pour son avenir à long terme. »
Revenant aux avancées technologiques de l’A220 né CSeries, le porte-parole d’Airbus rappelle que l’appareil consomme 20 % moins de carburant par siège comparé à un avion de génération précédente, en plus d’être 50% plus silencieux, facilitant son acceptabilité sociale dans les communautés où il est appelé à se poser.
« Pour ce qui est de la capacité d’innover, l’A220 est peut-être lui-même le meilleur exemple de ce qui peut naître et grandir ici au Québec », déclare M. Kaesser. « L’A220 va continuer d’évoluer au niveau de sa performance et de sa diversité, constituant une excellente plateforme d’innovation et de progrès continu pour ses fournisseurs. »
Investissements massifs
Airbus Canada voit grand pour l’appareil assemblé à Mirabel. « La compagnie investit fortement dans l’accélération de la cadence du programme – entre 750 millions et 1,5 milliard de dollars canadiens cette année – en vue d’atteindre notre capacité de production maximale prévue à 10 avions A220 par mois, à Mirabel, d’ici le milieu de la décennie », confie M. Kaesser.
Ce dernier se dit par ailleurs persuadé que « la croissance continue du programme A220 ne peut que contribuer positivement au sort de l’industrie aéronautique au Québec. »
De telles injections de capitaux ont forcément des répercussions positives sur les fournisseurs québécois. « Airbus a développé une relation solide et durable avec les sous-traitants établis au Québec, peu importe leur origine », explique M. Kaesser, précisant du même souffle que la multinationale compte accompagner ces sous-traitants dans leur recherche de l’excellence.
« Airbus reconnait un intérêt à travailler avec des sous-traitants de proximité, dans la mesure où ils répondent aux exigences demandées et qu’ils garantissent les meilleures performances du marché », résume-t-il.
L’un des principaux fournisseurs des tubulures de l’A220, Lauak Canada, se dit fort conscient de cette dynamique pour réussir dans une industrie aux standards si élevés, et pas seulement chez Airbus. « L’important c’est d’offrir le bon produit, à la bonne qualité et au bon prix et, dans ces cas-là, il y a des opportunités » confie Guillaume Bajolet, vice-président Amérique du Nord de Lauak Canada.
Un ADN d’origines multiples
Si la transition des cerveaux et des talents de la CSeries de Bombardier à l’A220 d’Airbus s’est faite de façon presque organique, c’est peut-être parce que cette dernière entreprise est elle-même le fruit de la mise en commun des potentiels et traits culturels français, britanniques, allemands et espagnols.
« Cela fait partie de l’ADN d’Airbus et constitue une de nos grandes forces », déclare M. Kaesser au sujet de la faculté d’intégration de la firme. « Nous sommes convaincus que certains éléments et apprentissages du programme serviront aux futurs développements d’Airbus », ajoute-t-il.
Il faut savoir qu’Airbus était déjà présente au pays bien avant le transfert du programme A220, alors qu’elle agissait – et agit toujours – à titre de sous-traitant de Bombardier par le biais de sa filiale STELIA North America. Celle-ci est établie à Mirabel elle aussi et se spécialise dans les aérostructures, fabriquant notamment les fuselages des biréacteurs d’affaires Global 7500 de Bombardier, souligne M. Kaesser.
À l’échelle canadienne, Airbus a établi une usine de fabrication d’hélicoptères en Ontario en 1984 et emploie de nos jours 4 000 personnes dans sept villes de neuf provinces canadiennes, générant 20 000 emplois indirects. Elle achète annuellement plus de 1,5 milliard de dollars canadiens à plus de 660 fournisseurs de neuf provinces.
Lauak Canada, fournisseur à succès de l’industrie aéronautique
« Le grand principe de base entre l’aéronautique et l’automobile, c’est que si l’automobile tombe en panne, elle peut se mettre sur le bas-côté et appeler un réparateur. Avec un avion, ça ne va pas très bien marcher. »
Voilà comment Guillaume Bajolet, vice-président pour l’Amérique du Nord de Lauak Canada, présente ce qui distingue les tubulures que l’entreprise de Mirabel fabrique pour le secteur aéronautique.
Que ces tuyaux acheminent du carburant, de l’air pour le dégivrage ou la climatisation, de l’oxygène pour les pilotes, du fluide hydraulique à une pression de 8 000 livres au pouce carré (psi) ou encore l’air des moteurs à une température de 450o C, ils ont ceci en commun de devoir demeurer sûrs, même en cas de défaillance.
« Vous avez une obligation de résultat et donc les tubulures sont pensées “fail safe” pour s’assurer qu’on prévoit l’impossible », explique M. Bajolet en entrevue au Magazine MCI, donnant pour exemple une canalisation à double paroi, soit un petit tuyau à l’intérieur d’un plus gros, conçu pour contenir toute fuite pouvant survenir dans le premier.
L’acheteur devenu vendeur
Lauak Canada, d’origine française mais également présente au Portugal, en Inde et au Mexique, a atterri chez nous en septembre 2018, alors qu’elle faisait l’acquisition de l’ensemble des activités liées à la tuyauterie aéronautique de Bombardier, à Mirabel.
Une centaine d’employés y oeuvrent, concevant et fabriquant des pièces faites d’aluminium, de titane, d’acier inoxydable ou d’Incotel, un alliage d’acier et de nickel.
L’entreprise ne s’est pas contentée de conserver la clientèle de Bombardier et de ses avions d’affaires, elle a même rapatrié au Québec certaines tâches que l’ancien propriétaire confiait à des usines d’Irlande ou du Mexique.
Puisqu’elle avait fait ses preuves sur le monocouloir CSeries de Bombardier, c’est tout naturellement que Lauak Canada a été retenue pour fournir une partie des tubulures dont sont dotés ses successeurs, les A220 d’Airbus, fabriqués tout près, à Mirabel aussi.
Un autre voisin de Mirabel, Bell Helicopter, est présentement dans la mire de Lauak, d’autant plus qu’il pourrait s’agir d’une formidable porte d’entrée vers les marques d’avions Beechcraft et Cessna qui, tout comme Bell, font partie de l’empire Textron.
Même si le chemin à parcourir pour devenir un fournisseur à succès de l’industrie aéronautique peut être sinueux et parsemé d’embûches, M. Bajolet le résume ainsi : « L’important c’est d’offrir le bon produit, à la bonne qualité et au bon prix et dans ces cas-là, il y a des opportunités. »
Le contrôle de la qualité est une préoccupation de tous les instants dans un secteur d’activité où l’erreur ne pardonne pas. La moindre soudure est inspectée sous tous ses angles. « On va même jusqu’à faire des radiographie des pièces pour s’assurer qu’il n’y a pas de porosité au cœur de la matière », explique le vice-président de Lauak Canada.
Le pliage des métaux représente lui aussi des défis particuliers. « Nous, on est dans un métier de déformation de la matière. Et du moment que vous êtes dans la déformation de matière, on doit s’assurer de rester dans des paramètres acceptables. Un titane ne se comporte pas comme un inox ou un aluminium. Plus vous cintrez et votre rayon est serré, plus il faut être vigilant pour ne pas que la matière déchire. On a tous ces paramètres à contrôler », rappelle M. Bajolet.
Le virage 4.0 chez Lauak Canada, ça a commencé par le remplacement de l’ancien système de gestion des technologies de l’information. L’entreprise a aussi investi dans de la machinerie intelligente, « qui communique avec des appareils de mesure afin de pouvoir contrôler, suivre et tracer la qualité de nos pièces », explique le porte-parole. L’utilisation de chariots automatisés déplaçant matériaux et composantes d’un poste de travail à l’autre de l’usine est un autre projet sur lequel planche l’équipe de Lauak Canada.
Diversification des activités
Bien que le site de Mirabel se concentre uniquement sur les tubulures pour l’instant, Guillaume Bajolet y voit la possibilité d’une diversification des activités, semblable à ce que fait Lauak dans d’autres régions du monde.
« On envisage, à terme, une extension du bâtiment pour y faire d’autres métiers », dit-il, songeant à des spécialités telles que la tôlerie ou la chaudronnerie. Et non, la chaudronnerie ne consiste pas à fabriquer des récipients de cuisson pour la cuisine. Du moins, pas en aéronautique.
« Vous allez former ou déformer des feuilles de tôle avec des presses et vous n’avez pas d’autre choix pour atteindre la géométrie finale que de redresser les pièces avec des maillets », dit-il pour illustrer certaines des tâches qui sont toujours effectuées à la main.
« Le chaudronnier vient retravailler les pièces, s’assurer de la planéité et du dernier positionnement des pièces. Il y a parfois des allers-retours avec des fours de traitement thermique pour détendre les contraintes qu’on met dans les pièces en les déformant », ajoute M. Bajolet, indiquant que les pylônes qui relient les réacteurs à la voilure d’un aéronef peuvent représenter un bon exemple de travail de chaudronnerie.
Et même si Lauak Canada fait office de sous-traitants pour de grands donneurs d’ordres – le fabricant Pratt & Whitney est aussi dans son collimateur – elle-même retient à son tour les services d’entreprises d’ici, pour des opérations de peinture ou d’usinage par exemple. « On fait travailler tout un tissu d’entrepreneurs locaux », explique M. Bajolet. Pour l’anecdote, sachez que « Lauak » signifie « Les quatre » dans le dialecte du Pays Basque d’où est originaire son fondateur Jean-Marc Charritton. Il a nommé l’entreprise ainsi en référence aux quatre actionnaires que sont lui-même, son épouse et leurs deux enfants.
Par Eric Bérard