Les négociations de renouvellement ont débuté il y a 14 mois et se sont finalement conclues le dimanche 30 septembre 2018 avec une nouvelle entente, quelques semaines après que les États-Unis aient conclu une entente bilatérale avec le Mexique. Tout au long des négociations, le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et sa ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland avaient toujours affirmé que le Canada recherchait une entente tripartite plutôt qu’un accord bilatéral avec les États-Unis seulement.
Une des pierres d’achoppement des négociations depuis plusieurs mois était le système de gestion de l’offre régissant les producteurs laitiers, de volaille et de porc du Canada, un système que Donald Trump ne s’est pas gêné de qualifier d’injuste pour les producteurs laitiers américains à maintes occasions. De nombreux observateurs de commerce international et de nombreux analystes affirmaient depuis plusieurs semaines que l’économie canadienne ressentirait de sérieux contrecoups si jamais les négociations n’aboutissaient pas. Il était donc primordial de demeurer à la table des négociations au moins jusqu’à la date butoir du 30 septembre 2018, dictée par Donald Trump lui-même.
Après cette date, le Président Trump déposerait au congrès américain une motion pour entériner l’entente bilatérale avec le Mexique et une autre pour mettre officiellement un terme à l’ALENA. Le fait que le Canada soit le partenaire économique le plus important de 38 états américains et que plusieurs gouverneurs avaient demandé au président de surseoir à ses menaces, rien n’allait empêcher Donald Trump de faire à sa guise. Pour mettre de la pression sur le Canada, Donald Trump avait imposé des tarifs douaniers supplémentaires de 25% sur l’acier canadien importé aux États-Unis et de 10% sur l’aluminium canadien importé aux États-Unis. Et malgré les demandes d’à peu près tous les dirigeants de l’industrie automobile américaine, Trump menaçait d’imposer de nouveaux tarifs de 25% sur les automobiles et les pièces d’auto fabriquées au Canada et importées aux États-Unis. Qui plus est, les États-Unis cherchaient également à ce que le Canada cède sur le point traitant du règlement des litiges auquel l’équipe canadienne tenait mordicus.
Alors que les négociations approchaient de l’heure fatidique, le Canada a finalement capitulé et accordé aux États-Unis un compromis dans la gestion de l’offre des produits laitiers, peut-être pas le compromis recherché par les Américains, mais assez pour que les négociateurs du pays de l’Oncle Sam acceptent. Mais le Canada aura réussi à avoir gain de cause au chapitre du règlement des litiges. Ce n’est pas la première fois que dans le cadre de négociations pour conclure des accords commerciaux multipartites, le système de gestion de l’offre devient un irritant pour certains partenaires potentiels autour de la table. Ce l’était dans le cadre des négociations avec l’Europe traitant de l’Accord Économique et Commercial Global (AECG) conclu avec l’Europe ainsi que lors des pourparlers avec une douzaine de pays au sujet du Partenariat Transpacifique Global et Progressiste (PTPGP). Et dans chaque cas, le Canada a dû faire des concessions sur son système de gestion de l’offre, surtout celui régissant les producteurs laitiers, pour en arriver à une entente.
Encore une fois, c’est une concession permettant aux producteurs laitiers américains d’avoir un accès limité au marché canadien qui a scellé l’AEUMC. Selon les premières informations disponibles, le compromis au sujet de la gestion de l’offre est identique à celui que le Canada avait accordé aux États-Unis dans le cadre du PTPGP, duquel Donald Trump avait renié la signature des États-Unis pour se retirer de cette entente. Dans le cadre de cet accord, le Canada accordait aux États-Unis et ses producteurs laitiers un accès à l’équivalent de 3,25% du marché canadien. Le nouvel accord, tout comme les autres précédemment mentionnés, n’empêchera pas le Canada de continuer ses programmes de gestion de l’offre mais il se voit dans l’obligation, avec l’AEUMC, d’ouvrir davantage son marché aux producteurs américains.
Il est évident que le Canada devra compenser les producteurs laitiers canadiens pour le manque à gagner que cette concession au plan de la gestion de l’offre pourrait représenter. Il est tout aussi évident que les producteurs laitiers du Québec, qui représentent plus de 50% de la production canadienne, ne sont pas heureux de faire l’objet de concessions à des tables de négociations internationales. Le Canada aura tout de même réussi à gagner son point par rapport à l’exception culturelle de l’ALENA qui a été transférée au nouveau pacte. Quant à la demande du Canada à l’effet que les États-Unis retirent les tarifs douaniers imposés sur les importations d’acier et d’aluminium canadien, cette question épineuse n’a pas été réglée dans le cadre des présentes négociations.
Dans une déclaration commune diffusée un peu avant minuit le 30 septembre 2018, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland et Robert Lighthizer, représentant au Commerce des États-Unis et principal négociateur américain à la table, déclaraient : « Aujourd’hui, le Canada et les États-Unis sont parvenus à un accord de principe, de concert avec le Mexique, sur un nouvel accord commercial moderne et adapté aux réalités du 21e siècle : l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC). L’AEUMC offrira à nos travailleurs, agriculteurs, éleveurs et entreprises un accord commercial de grande qualité qui donnera lieu à des marchés plus libres, à un commerce plus équitable et à une croissance économique solide dans notre région. L’accord renforcera la classe moyenne et créera de bons emplois bien rémunérés ainsi que de nouvelles opportunités pour près de 500 millions de personnes qui vivent en Amérique du Nord. Nous sommes impatients de resserrer encore davantage les liens économiques étroits qui nous unissent lorsque ce nouvel accord sera mis en œuvre. Nous tenons à remercier le ministre mexicain de l’Économie, Ildefonso Guajardo, pour sa collaboration solide au cours des derniers 13 mois. »
Par Guy Hébert