Quand il est question de « villes connectées », on fait souvent référence à leur capacité d’interagir avec leurs citoyens via le Web. Mais l’historien Harold Bérubé préfère envisager le concept dans son sens large de la capacité d’une ville à communiquer tout court.
« Une ville ne peut pas survivre s’il elle n’est pas connectée d’une façon ou d’une autre », dit-il en entrevue au magazine MCI, précisant que l’apparition même des villes dépend de l’activité commerciale, de la circulation des gens et des biens.
Il rappelle qu’au Québec à l’époque coloniale, « toutes nos villes ou presque sont fondées sur le bord du fleuve ou de rivières », qualifiant ces voies navigables d’Internet de l’époque.
Mais selon lui, le véritable bouleversement s’est produit au XIXe siècle avec l’arrivée des chemins de fer, LA connexion de la révolution industrielle, dit-il.
« À mesure que le réseau ferroviaire se développe, les villes se battent entre elles avec férocité pour être connectées au chemin de fer, parce qu’être connecté au chemin de fer c’est essentiel pour attirer des entreprises, faire circuler les biens », explique le professeur de l’Université de Sherbrooke.
Le rail aura d’ailleurs été un chapitre de plus de la grande rivalité Montréal-Québec. « C’est vraiment le fait que Montréal se positionne au centre du réseau de chemin de fer au milieu du XIXe siècle qui va lui donner l’avantage », dit M. Bérubé.
Attraction de main-d’œuvre
Et ce n’est pas d’hier que l’on utilise le levier de la ville connectée pour attirer des travailleurs, rappelle notre expert. « En pleine révolution industrielle, des entreprises ouvrent dans des villes comme Montréal, Sherbrooke, Drummondville et ils ont un problème de main-d’œuvre. Ce qui va venir leur permettre d’aller chercher suffisamment d’ouvriers pour faire tourner leurs usines c’est deux choses : l’immigration internationale et l’exode rural. »
Ironiquement, la technologie tend maintenant à ramener les travailleurs en région, dans la mesure où la municipalité d’accueil assure une connectivité adéquate. « Il y a une certaine décentralisation de la main-d’œuvre. Les gens quittent notamment Montréal et les grands centres pour aller plus en périphérie et je pense que ce déplacement-là va se poursuivre probablement et dépend fortement effectivement de la capacité à rester connectés », observe-t-il.
Allo?
Un autre grand jalon de la connexion des villes avec ses citoyens et entre elles est bien sûr l’arrivée du téléphone. « Ce que le téléphone va venir complètement transformer, c’est l’instantanéité des communications », indique M. Bérubé, soulignant par ailleurs que les premiers téléphones dans les villes servaient deux priorités : l’accès à la communication avec la centrale pour les policiers dans les rues où des cabines étaient installées à leur intention et les patrons d’usines qui se faisaient installer une ligne à leur domicile pour être en contact 24 heures sur 24 avec le centre de production.
« Je dis parfois à mes étudiants que c’est l’Internet avant l’Internet. C’est une toile qui est quand même mondiale, qui n’est pas aussi rapide évidemment que le Web et qui n’est pas aussi étendue mais qui remplit les mêmes fonctions de circulation de l’information globale », dit-il au sujet du téléphone.
L’électrification des campagnes entre 1945 et 1955 a également eu un grand impact sur les communications, puisque les communautés les plus reculées pouvaient désormais avoir accès à la radio et aux informations transitant par la voie des ondes. Le professeur Bérubé y voit d’ailleurs un parallèle intéressant avec la volonté actuelle d’offrir l’Internet haute vitesse dans toutes les municipalités du Québec.
Fluidité du transport
Le développement du réseau routier a quant à lui permis de donner plus de fluidité aux communications commerciales, notamment le transport de produits de la ferme jusqu’aux centres urbains.
« Si vous avez un camion, vous pouvez l’envoyer quand vous voulez, quand vous êtes prêt. Il peut aller un peu où vous voulez, il n’est pas à la merci des tracés ferroviaires », note l’historien.
Ces réseaux autoroutiers auront ainsi, sinon donné naissance, à tout le moins favorisé l’essor de l’industrie de la transformation alimentaire.
De nos jours toutefois, les connexions pour les villes se conjuguent à l’Internet et à la 5G, ce qui exige des investissements et plane toujours le risque du gouffre financier informatique. Jusqu’où une ville doit-elle investir pour être connectée?
Selon M. Bérubé, les villes se trouvent dans une position délicate. « Comme elles sont en concurrence les unes avec les autres pour attirer des entreprises, il faut qu’elles offrent quelque chose pour attirer les entrepreneurs et essayer de voir jusqu’où elles sont prêtes à s’avancer financièrement. Quand est-ce qu’une ville traverse une ligne où elle est allée tellement loin que ce qu’elle fait contrevient au bien public? », se demande-t-il.
Excellente question à débattre à la prochaine séance de votre Conseil municipal.
Par Eric Bérard