La relance économique sera innovante ou ne sera pas. En pleine crise de la COVID-19, malgré l’incertitude ambiante, une chose demeure certaine : les entreprises doivent impérativement continuer d’innover, sous peine de prendre d’importants retards sur leurs concurrents mondiaux. Innover, c’est rendre nos entreprises plus compétitives. C’est se démarquer à l’échelle internationale. C’est contribuer à la richesse collective.
Au cœur de cet écosystème innovant se trouve la fabrication additive (FA). Également connue sous le nom d’impression 3D, celle-ci possède les ingrédients nécessaires pour dynamiser la relance du Québec, contribuer à rendre plus fiables et plus locales ses chaînes d’approvisionnement et réduire son empreinte écologique. Ce ne sont là que quelques-uns des constats du tout premier Livre blanc sur la fabrication additive au Québec[1], fruit d’une collaboration entre PRIMA Québec et ses partenaires que sont Innovation, Sciences et Développement économique Canada, le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec, le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA), MEDTEQ+ et Systèmes P4BUS. Une trentaine d’industriels et d’organisations impliquées dans la recherche, l’adoption des technologies et le développement des compétences ont participé activement au comité de pilotage.
La FA contribue également à mieux gérer la transition énergétique et les pressions exercées sur les ressources dans une perspective économique durable. De plus, elle encourage une médecine personnalisée dans un contexte de vieillissement de la population. L’immense potentiel technologique de la FA permet de concevoir des produits personnalisés et réduire les délais tout au long du processus de fabrication, tout en rehaussant la qualité des pièces et en misant sur des méthodes de fabrication agiles, adaptatives et économiques.
Rappelons que la FA, c’est une méthode de conception et de fabrication assistée par ordinateur pour former une pièce fonctionnelle par apports successifs de matière et d’énergie, contrairement à la fabrication traditionnelle soustractive, qui procède par enlèvement de matière (découpage ou fraisage).
La FA permet de fabriquer des pièces en polymère, en métal (aciers, aluminium, cobalt-chrome, nickel, titane), en céramique, en composite ou en matière organique (bois, cires, matières alimentaires, tissus biologiques), d’une complexité élevée et beaucoup plus légères qu’avec les procédés d’usinage ou de moulage conventionnels. Les familles de technologies sont nombreuses (powder bed fusion, directed energy deposition, material jetting, binder jetting, material extrusion, VAT photopolymerization, sheet lamination, etc.), et les matériaux, très divers sous différentes formes (poudres, granulés, filaments, feuilles, etc.).
De nombreux domaines l’utilisent déjà ou sont en voie de l’utiliser massivement. Résultat ? Son potentiel de croissance est fulgurant. Selon les dernières données, le marché de la FA croit de plus de 27 % par an. Par ailleurs, de 2010 à 2019, le marché mondial est passé de 1 G$ US à 9,98 G$ US. Selon Wohlers et al. (2019) – une référence en la matière – ce chiffre pourrait être multiplié par 3,6 pour atteindre 35,6 G$ US en 2024.
Deux secteurs précurseurs
Les avantages de la FA sont connus. Au-delà des matériaux variés ou encore du niveau de complexité des pièces produites, elle permet des processus de R-D plus efficaces grâce au prototypage rapide et répond mieux aux exigences du client. Elle améliore les processus de fabrication existants grâce à des moules, des gabarits, des accessoires et des pièces de machine élaborées de manière additive. Elle permet de fabriquer des produits existants à moindre coût, de réduire les efforts de logistiques, le transport et les inventaires. Enfin, le marché après-vente est d’autant plus efficace grâce à la production de pièces détachées pour son propre portefeuille de produits.
Certains secteurs bénéficient de la FA de manière particulière[2]. C’est le cas du secteur de l’aérospatiale. Citons entre autres l’allègement du poids des pièces contribuant ainsi à réduire la consommation de carburant, la réduction du nombre de composantes et du temps/coût d’assemblage ou de réparation des pièces et composantes, ou encore la simplification de la chaîne d’approvisionnement.
Toutefois, des défis restent à surmonter, comme les exigences de qualification et de certification pour les matériaux, les pièces et les procédés de leur fabrication. C’est aussi le cas pour le développement de méthodes de post-fabrication pour assurer une résistance à la fatigue et une durabilité des structures complexes souvent plus fragilisées, pour l’amélioration des procédés et équipements pour production de pièces de plus grandes dimensions à moindre coût et le développement de méthodes de tests non destructifs pour les composantes produites en série.
Le secteur médical et dentaire est une terre fertile pour la FA, grâce à la personnalisation des composantes en fonction du patient. La fabrication additive offre de nouvelles possibilités géométriques pour la conception et le design (ex. implant de hanche où la structure en treillis est optimisée pour prendre en compte la croissance des os) et elle permet de réduire les délais entre la conception et l’utilisation pour les experts médicaux et dentistes.
Les défis du secteur demeurent nombreux particulièrement au niveau des certifications et des approbations médicales requises. Les démarches associées sont parfois longues et coûteuses alors que les produits sont souvent conçus sur mesure pour chaque patient. De plus, les matériaux et la chimie de surface utilisés dans le processus doivent être biocompatibles et les matériaux, les équipements et les produits doivent être stérilisés.
Une offre existante et à renforcer
Le Québec n’échappe pas cette tendance. Ici aussi, l’écosystème de la FA est en pleine croissance. On note plus d’une soixantaine d’entreprises qui produisent et commercialisent des matériaux, équipements, logiciels ou services liés aux divers segments de la chaîne de valeur. Ces activités représentent la majeure partie de leurs opérations. La majorité de ces entreprises ont moins de 100 employés et moins de 5 ans d’existence. Actives en recherche et développement, elles se font une place enviable sur le marché mondial en exportant massivement. Plusieurs de ces entreprises projettent des investissements supplémentaires afin de diversifier leur clientèle.
Au niveau des matériaux, le Québec se distingue avec la présence de deux des plus grands fabricants mondiaux de poudres métalliques (AP&C et Tekna). Au niveau de la conception et du prototypage, plus de 60 % des entreprises offrent ce type de services alors que 50 % d’entre elles offrent des services d’optimisation de procédés. Plus du quart des entreprises offrent des services d’impression. Notons qu’en ce qui concerne les imprimantes 3D et les pièces reliées, peu d’entreprises québécoises sont présentes dans ce segment de la chaîne de valeur dominé par les importations, hormis AON 3D, Dyze Design, Nanogrande et Industries Sautech.
Le Québec dispose d’une communauté bien engagée avec plus d’une quarantaine d’organisations qui appuie la FA au niveau de la R-D (p. ex. Centre de métallurgie du Québec, ÉTS, Polytechnique Montréal, Université McGill, CNRC), de l’adoption technologique (ex. CRIQ) et du développement de compétences (ex. COALIA). On observe que les projets de R-D ciblent surtout des applications pour l’aérospatiale, la santé, le matériel de transport terrestre, l’équipement et l’outillage industriel. Cette communauté collabore surtout avec les petites entreprises (31 %), suivi de près par des moyennes (29 %) et de grandes entreprises (26 %). Les entreprises de moins de 10 employés (TPE) représentent 14 % des projets. On se concentre également sur le post-traitement, la caractérisation et l’optimisation des procédés et l’emphase est également mise sur les matériaux métalliques bien que la recherche porte aussi sur les polymères et les composites. L’expertise académique reconnue sur les matériaux tout comme la collaboration efficace avec l’industrie favoriseront davantage de percées.
Toutefois, les défis sont nombreux. Le Livre blanc expose bien les enjeux qui attendent l’industrie de la FA sur ce plan. Depuis 2012, les principaux concurrents commerciaux du Québec et du Canada se sont dotés de stratégies, d’objectifs et de programmes structurants en FA, mis en œuvre en partenariat avec l’industrie et la communauté de la R-D.
Renforcer les chaînes d’approvisionnement des secteurs-clés de l’économie québécoise est essentiel afin que les entreprises demeurent compétitives sur des marchés mondialisés toujours plus avides de nouveaux produits à prix concurrentiels, fabriqués grâce à des technologies de pointe. Pour y arriver, il sera pertinent d’intensifier les relations d’affaires entre PME innovantes et de grands donneurs d’ordre privés ou publics. Ces derniers permettraient ainsi à l’industrie de la FA de développer ses capacités d’innovation et d’avoir accès à des premiers clients d’importance. Le financement des jeunes entreprises à l’aide de capital patient est également un enjeu d’importance.
De la même façon, les entreprises en fabrication additive dont l’offre se situe au niveau des matériaux, des équipements, des logiciels et des services doivent poursuivre leurs activités de pointe tant au niveau de la recherche appliquée que du développement. De plus, les entreprises en démarrage doivent également être soutenues dans leur démarche d’innovation et de commercialisation.
Au-delà de la recherche, du soutien à l’innovation, les entreprises doivent avoir accès à une main-d’œuvre spécialisée capable d’utiliser le plein potentiel de la fabrication additive. En effet, tous les pays qui ont pris ce virage considèrent essentiel de développer une main-d’œuvre spécialisée en nombre suffisant pour appuyer l’essor de cette industrie et l’adoption de cette technologie par les secteurs-clés de leur économie. Par exemple, le Cégep de Thedford fait office de pionnier avec une attestation d’études collégiales sur la FA en métalliques, polymères et composites ainsi que des cours de 15-20 heures pour le personnel d’entreprises.
Une demande à stimuler
Plus de 80 entreprises de secteurs-clés du Québec ont fait l’apprentissage de la FA depuis 2015 dans le cadre de projets pilotes ou de recherche, menés en collaboration avec la communauté de la R-D et/ou avec des entreprises de l’offre. On les retrouve notamment dans les industries suivantes : l’aérospatiale, la fabrication de produits métalliques, l’équipement et l’outillage industriels, les fournitures et le matériel médical et dentaire, le matériel de transport terrestre.
Malgré des perspectives de marché très favorables pour la FA, les secteurs-clés de l’économie québécoise affichent un retard certain à s’approprier la fabrication additive ce qui explique, par exemple, que la presque totalité de la production des fabricants de poudres métalliques pour la FA est exportée.
Pour demeurer compétitives, les entreprises manufacturières des secteurs-clés de l’économie du Québec doivent accélérer leur rythme d’intégration de la FA. Cela nécessite des investissements importants et la maîtrise de nouveaux savoirs spécialisés pour des firmes ayant des ressources souvent limitées et déjà aux prises avec une rareté de la main-d’œuvre qualifiée. Il convient donc de les accompagner partout en région au Québec afin de faciliter leur gestion du risque d’adoption de cette technologie et d’en réduire les coûts.
Mais pour stimuler la demande, il faudra accélérer l’adoption de la FA pour les industriels. Cela suppose qu’il faille les sensibiliser davantage, faciliter l’accès à l’équipement et aux logiciels, tester et expérimenter divers procédés ou réaliser des projets pilotes. Cela nécessitera par la suite des investissements importants et la maîtrise de nouveaux savoirs spécialisés pour des firmes ayant des ressources souvent limitées et déjà aux prises avec une rareté de main-d’œuvre qualifiée. Il convient donc de les accompagner dans ce processus afin de faciliter leur gestion du risque d’adoption de cette technologie et d’en réduire les coûts. D’ailleurs, il y a fort à parier que l’initiative Productivité innovation, récemment lancée par Investissement Québec contribuera à soutenir des projets d’entreprises visant à adopter la FA et que l’accompagnement technologique offert par le CRIQ augmentera l’autonomie des entreprises à réaliser leurs projets.
La fabrication additive en 3R
La relance de l’économie gagnera à prioriser l’innovation, l’investissement, la compétitivité par une utilisation accrue de cette technologie au Québec et par une plus grande implication de nos entreprises en FA dans les chaînes d’approvisionnement de nos secteurs-clés. Le secteur des matériaux avancés est déjà bien implanté au Québec et vient en appui à la fabrication additive.
En contribuant à la lutte contre la COVID-19, l’impression 3D a démontré ses avantages indéniables, passant rapidement d’un matériau à l’autre, de la conception à la fabrication de produits divers (masques faciaux, visières, ventilateurs, etc.). Concevoir en 3D offre une plus grande liberté pour imaginer des produits nouveaux, plus complexes et originaux. Imprimer en 3D réduit les étapes et frais d’assemblage, de transport et d’inventaire, permettant ainsi à nos entreprises d’accroître leur compétitivité sur les marchés mondiaux.
La FA pourra également jouer un rôle important dans la restructuration de nos chaînes d’approvisionnement et de production au Québec. La pandémie a démontré qu’elles peuvent être vulnérables face à des perturbations majeures imprévisibles. Au cours des prochains mois, le Québec entreprendra un virage vers davantage d’achats locaux, plus de production près des utilisateurs, selon l’urgence du moment, dans toutes nos régions. Les chaînes d’approvisionnement devront mieux gérer ces risques, devenir plus sûres, moins dépendantes d’un petit nombre de marchés ou de fournisseurs éloignés. Les technologies de pointe dont la FA seront de précieux atouts pour rendre ces chaînes plus rapides, locales et flexibles.
Imprimer en 3D rendra possible la réduction de l’empreinte écologique du Québec et de ses industries en produisant plus léger, avec moins de matériaux. C’est la grande force d’une technologie additive qui utilise uniquement ce qui est requis. Adopter la FA, c’est donc exploiter un modèle d’entreprise plus agile, plus innovant, moins consommateur de ressources et d’énergie par rapport aux modèles et procédés traditionnels de fabrication. Dans certaines industries, réduire le nombre de pièces tout en allégeant leur poids permet même de fabriquer du matériel et des équipements moins énergivores à utiliser.
Cette incroyable période pose de nombreux défis et nous oblige à nous projeter aussi dans l’avenir. Les matériaux avancés et les procédés associés jouent déjà un rôle stratégique pour nos secteurs-clés et durant cette pandémie. Et ils seront encore à l’avant-plan pour paver la voie à une relance de façon durable et appuyer la transformation numérique, l’électrification des transports et la transition énergétique.
[1] https://www.prima.ca/wp-content/uploads/2020/06/Livre-blanc-Fabrication-additive-au-Qu%C3%A9bec_2020.pdf
[2] ISDE, PRIMA Québec, Système P4Bus (2019). Fabrication additive (FA) : Perspectives sectorielles. Document réalisé dans la cadre des travaux sur le Livre blanc.
Par Marie-Pierre Ippersiel, présidente et directrice générale, PRIMA Québec
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